Installation du groupe de travail sur les mineurs isolés
Lundi 11 mai 2009
Seul le prononcé fait foi
Mesdames, Messieurs,
Les enfants sont l’avenir de notre société. Ils en sont aussi l’un des éléments les plus vulnérables. C’est pourquoi la protection de l’enfance doit rester l’une des priorités de toute action publique.
On ne peut que s’étonner finalement qu’il ait fallu attendre 1989 pour qu’un traité, en l’occurrence la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, affirme enfin que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Et dans le cas d’enfants étrangers isolés, la vulnérabilité est beaucoup plus grande encore. Les mineurs étrangers isolés arrivant sur notre territoire sont les proies les plus faciles de toutes les filières de traite des êtres humains, de proxénétisme, de servitude domestique, et même, des affaires récentes l’ont montré, de trafic d’organes. L’intérêt supérieur de l’enfant exige donc une action spécifique résolue de la part de l’Etat.
C’est ce qu’affirme l’article 20 de la même convention : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat ».
Dès les premiers jours qui ont suivi mon entrée en fonction au ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement, le 15 janvier dernier, mon attention a été appelée sur plusieurs affaires de mineurs étrangers isolés.
Dès le 16 janvier, des jeunes filles d’origine congolaises sont arrivées à l’aéroport de Roissy, munies de faux documents d’identité, et sans que les personnes venues les chercher à l’aéroport puissent attester d’un quelconque lien de parenté ou d’une quelconque demande de regroupement familial.
J’ai refusé qu’elles soient immédiatement reconduites dans leur pays d’origine, où je n’avais aucune garantie qu’elles soient correctement accueillies. Et j’ai refusé aussi qu’elles soient confiées aux personnes venues à l’aéroport pour les récupérer, qui ne présentaient pas, elles non plus, toutes les garanties nécessaires. J’ai donc décidé de les maintenir en zone d’attente, accompagnées d’une infirmière, et placées sous la responsabilité de la Croix rouge. Cette décision m’a attiré les critiques de certaines associations m’accusant, ni plus ni moins, de jeter des enfants en prison ! Mais je l’assume pleinement, parce que j’estime que la protection de l’enfance est une exigence supérieure à celle de la libre circulation. Et parce que la responsabilité de confier un enfant à un adulte ne peut être prise avec légèreté.
Durant les semaines qui ont suivi, j’ai aussi été saisi de cas extrêmement touchants de mineurs étrangers isolés, que j’ai été rencontrer directement, à Paris, sur la place du colonel Fabien notamment. Ces enfants, qui avaient parcouru des milliers de kilomètres, traversé des mers et des continents, n’avaient en France ni père, ni mère, ni famille, ni amis, et cherchaient, pour la plupart, à rejoindre l’Angleterre ou la Suède, à la recherche d’un avenir meilleur.
La situation de ces mineurs étrangers isolés appelle une action spécifique de la part de l’Etat. Tel est l’objet de ce groupe de travail, qui devra proposer une stratégie d’action avant le 15 septembre prochain.
Ce groupe de travail devra tout d’abord élaborer un diagnostic partagé de la situation des mineurs étrangers isolés en France.
Ces mineurs entrent en France à la fois par voie aérienne et par voie terrestre ou maritime. La protection judiciaire de la jeunesse estime chaque année à environ 2.500 le nombre de mineurs étrangers isolés ayant un contact avec l’autorité judiciaire, et à 1.500 le nombre ceux qui sont pris en charge.
Dans le même temps, les statistiques de la police aux frontières de Roissy constituent elles aussi une base sérieuse pour apprécier la situation : Pour l’année 2007, 822 étrangers se sont déclarés mineurs isolés à la frontière de Roissy. Après examen, 680 ont été déclarés réellement mineurs. Parmi ces derniers, 455 -soit les deux tiers - avaient plus de 13 ans, et 225 – soit un tiers avaient moins de 13 ans ! Et sur ces 680 mineurs étrangers isolés s’étant présentés à la frontière, 424, c’est-à-dire 62%, ont été effectivement admis, à des titres divers, sur notre territoire.
Ces quelques chiffres démontrent que la situation des mineurs étrangers isolés mérite d’être prise en compte de manière spécifique et volontariste.
A ce jour, les deux principaux dispositifs spécifiques aux mineurs étrangers prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont :
Premièrement, un droit au séjour général pour l’ensemble des mineurs étrangers présents sur notre territoire, puisque le CESEDA prévoit que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée en France, ou après l’expiration de son visa s’il est soumis à l’obligation de détenir un visa, être muni d’une carte de séjour ».
Deuxièmement, la présence d’un administrateur ad hoc en amont, avant même l’autorisation d’entrer sur notre territoire, c’est-à-dire en zone d’attente, puisque l’article L.221-5 du CESEDA prévoit que « lorsqu’un étranger mineur non accompagné d’un représentant légal n’est pas autorisé à entrer en France, le procureur de la République, avisé immédiatement par l’autorité administrative, lui désigne sans délai un administrateur ad hoc ».
Ces deux dispositifs fonctionnent bien, et ne doivent pas être remis en cause.
A Roissy, en 2007, un administrateur ad hoc a pu être désigné dans 77% des 680 cas de mineurs étrangers isolés se présentant à la frontière. Ce pourcentage a augmenté de 10 points au cours de l’année 2008. Nous en sommes à 87% aujourd’hui. Je souhaite que nous atteignions les 100% dès l’année prochaine.
Il n’est pas question de remettre en cause le droit général au séjour des mineurs étrangers présents sur notre territoire. Mais il n’est pas question non plus de remettre en cause l’existence d’une zone d’attente, seul endroit où l’Etat est en mesure d’effectuer un contrôle avant l’entrée sur le territoire. Je sais que certaines associations ont proposé de supprimer le passage en zone d’attente pour les mineurs étrangers isolés arrivant en France. Je ne suis pas favorable à cette proposition, car elle constituerait un encouragement à toutes les filières de traite des êtres humains et d’exploitation de l’enfance à passer par la France, sûres que les enfants envoyés entreront effectivement sur le territoire de l’espace Schengen.
Telles sont les deux limites à l’intérieur desquelles je souhaite que ce groupe puisse travailler : d’une part, consolider le droit au séjour des mineurs étrangers isolés présents sur notre territoire et renforcer leur protection et leur accompagnement. D’autre part, maintenir et améliorer les contrôles à la frontière, pour les adapter aux spécificités des mineurs isolés.
Ce groupe devra faire des propositions pour une meilleure identification de ces mineurs étrangers isolés. Il devra se pencher sur la question de la reconnaissance de l’âge et des meilleures pratiques concernant la validation de la minorité, dans le respect des grands principes juridiques, éthiques, et déontologiques. Il devra préciser la définition de la notion d’« isolement », et du lien de parenté qui peut être exigé pour que le mineur ne soit plus considéré comme isolé.
Concernant l’arrivée en France des mineurs étrangers isolés, le groupe de travail devra faire des propositions pour améliorer les procédures applicables aux mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente. Il devra étudier la question des missions, des moyens, et de la formation des administrateurs ad hoc, dont la loi prévoit la désignation par le parquet.
Le groupe devra aussi aborder la question des demandes d’asile des mineurs étrangers isolés et de l’assistance à leur délivrer pour suivre cette procédure.
Concernant la situation des mineurs étrangers isolés admis ou présents sur le territoire français, le groupe de travail devra préciser les règles de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance.
L’article 1er de la loi sur la protection de l’enfance du 5 mars 2007 comprend une disposition visant à intégrer tous les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille dans le champ de la protection de l’enfance. Le groupe de travail devra se pencher sur l’application effective de cet article au cas des mineurs étrangers isolés.
Le groupe de travail devra enfin étudier la question des jeunes majeurs, supposés rejoindre leurs pays d’origine pour y obtenir un titre de séjour.
Je voudrais tous vous remercier d’avoir accepté de participer à ce groupe de travail sur les mineurs étrangers isolés. Il s’agit d’un travail impliquant de nombreux ministères : ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, ministère de la justice, ministère de la santé et des sports, ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Les mineurs étrangers isolés sont aussi au coeur des missions du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, et de l’UNICEF, dont je salue la présence. Je remercie aussi les collectivités locales, l’association des départements de France et l’association des maires de France, qui disposent de compétences essentielles pour l’accompagnement des mineurs étrangers isolés, d’avoir accepté de participer à ce groupe de travail.
Je voudrais adresser des remerciements particuliers aux associations qui oeuvrent chaque jour pour l’accompagnement des mineurs étrangers isolés en zone d’attente et sur le territoire national. Je prendrai dans les prochaines semaines un certain nombre d’initiatives afin d’accroître le soutien apporté par l’Etat à ces associations.
Je vais maintenant laisser la parole au Médiateur de la République, à la Défenseure des enfants, aux organismes internationaux spécialisés, HCR et UNICEF, aux représentants des collectivités locales, puis aux différentes associations engagées auprès des mineurs étrangers isolés, pour un premier tour de table.
Je vous remercie de votre attention.