Allocution de M. Eric Besson
Ministre de l’immigration, de l’intégration,
de l’identité nationale et du développement solidaireRéunion avec les associations apportant une aide humanitaireaux étrangers en situation irrégulière*Vendredi 17 juillet 2009Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs,
Je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir bien voulu participer à cette réunion des associations apportant une aide humanitaire aux étrangers en situation irrégulière.
Depuis six mois, nous n’avons cessé, moi-même et mes équipes, de dialoguer avec vous, mais c’est la première fois que nous nous retrouvons collectivement.
Toutes les associations intervenant auprès des étrangers en situation irrégulière n’ont pas pu être invitées, compte tenu de leur nombre et de leur diversité. Mais il s’agit d’une première réunion, et nous aurons l’occasion d’élargir ce cercle si d’autres associations souhaitent participer au travail que nous engageons aujourd’hui.
A la demande de plusieurs des associations qui participent à cette première réunion, l’ordre du jour sera consacré à la question du prétendu « délit de solidarité ». Je souhaite que nos prochaines réunions puissent permettre d’évoquer d’autres sujets de préoccupation commune, sur lesquels je compte apporter des réponses concrètes, comme par exemple la situation des mineurs étrangers isolés, celle des jeunes majeurs, ou celle des femmes immigrées victimes de violences.
Dans ma lettre d’invitation à cette réunion, je vous proposais de me transmettre avant le 10 juillet les cas individuels pouvant étayer la thèse du « délit de solidarité », que nous aurions pu examiner avec toutes les informations utiles. Aucun n’a été reçu à ce jour.
Les associations apportant une aide humanitaire aux étrangers en situation irrégulière sont nombreuses et dynamiques. Beaucoup sont soutenues par l’Etat. L’Etat lui-même, à travers ses centres d’hébergement d’urgence et son système de soins, est le premier acteur de l’aide humanitaire aux étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière.
Permettez-moi d’insister sur ce point : l’aide humanitaire est toujours légale, quelle que soit la situation administrative des personnes aidées. Elle ne peut être ni poursuivie, ni condamnée. L’article 121-3 du code pénal nous rappelle ce principe fondamental, selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » Et en apportant à une personne en détresse une aide humanitaire, l’intention ne peut être de commettre un crime ou un délit. Il n’existe dans notre droit ni « délit d’humanité », ni « délit de générosité », ni « délit de solidarité ».
Il existe au contraire un certain nombre de dispositifs légaux, qui rappellent systématiquement le caractère inconditionnel de l’aide humanitaire.
Dans le domaine de l’hébergement d’urgence par exemple, l’article 23 de la loi de mobilisation pour le logement, adoptée le 19 février 2009, dispose désormais que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. Cet hébergement d’urgence doit lui permettre, dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, et une première évaluation médicale, psychique et sociale. »
Le Président de la République, dans son discours du 17 octobre 2007 devant le Conseil Economique et Social, a lui-même rappelé que « l’accueil des personnes à la rue doit être inconditionnel » et que « quand quelqu’un est à la rue, qu’il est dans une situation d’urgence et de détresse, on ne va tout de même pas lui demander ses papiers ! ». Le caractère inconditionnel de l’aide humanitaire est aussi rappelé dans notre code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). L’aide humanitaire est en particulier exclue de l’application de l’article L.622-1 du CESEDA.
Cet article dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30.000 Euros. ». Cet article constitue le fondement juridique de la lutte contre les filières d’immigration clandestine, qui sont aussi celles de la traite des êtres humains, de l’esclavage moderne, de l’exploitation de l’enfance, du proxénétisme, de la servitude domestique.
Cet article a permis l’interpellation de plus de 4.000 personnes en 2008, ayant logé, transporté, effectué des prestations, pour le compte de filières clandestines. Le terme d’« aidant » a malheureusement été utilisé dans une annexe au projet de loi de finances, qui laisse à penser que ces personnes sont engagées dans l’action humanitaire, alors qu’elles sont impliquées dans le trafic des êtres humains. J’ai donc demandé que ce terme « aidants » soit remplacé par le terme « trafiquants de clandestins », et fixé l’objectif de 5.000 trafiquants interpellés pour l’année 2009.
Car selon les chiffres des Nations Unies, le trafic des êtres humains est désormais le deuxième dans le monde par le chiffre d’affaires, derrière le trafic de drogue, mais devant le trafic d’armes. Baisser notre garde face à ce fléau mondial serait donc une faute lourde.
Je participais hier à une réunion des Ministres européens en charge de l’immigration, à Stockholm. Et croyez-moi, l’heure est bien, partout dans le monde, à la mobilisation générale contre les filières de l’immigration clandestine et la traite des êtres humains. Une prise de conscience collective est à l’œuvre. Ce début de 21ième siècle ne doit pas ressembler au début du 17ième, lorsque l’ouverture aux échanges atlantiques alla de pair avec l’esclavage.
Exclure de toute poursuite les actes pour lesquels les services de police n’auraient pu démontrer un caractère lucratif, exonérer de responsabilité les actes commis par imprudence, par passion ou par idéologie, autoriser le développement de filières clandestines constituées sous forme associative, au pays de la liberté d’association, reviendrait en réalité à renoncer à toute maîtrise des flux migratoires, et à favoriser le développement des filières clandestines et la traite des êtres humains.
Et si la directive européenne du 28 novembre 2002 fait effectivement référence à la possibilité pour les Etats membres de ne poursuivre que les actes commis dans un but lucratif, c’est pour fixer un standard européen minimal. Seul deux Etats membres, qui ne sont pas les plus exposés aux filières clandestines, ont recours à ce critère.
Cette proposition était d’autant plus injustifiée que l’exonération de responsabilité pour les actes humanitaires est déjà prévue, à l’article L.622-4. Cet article dispose qu’il ne peut y avoir de poursuites pénales « lorsque l’acte reproché est, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte. »
Cet article L.622-4 vise à protéger explicitement l’action humanitaire de toute poursuite, en maintenant ces poursuites lorsque l’aide apportée à l’étranger en situation irrégulière a des contreparties, dont certaines peuvent être particulièrement odieuses, comme une servitude domestique, ou encore le versement d’un loyer pour l’occupation d’un local complètement insalubre.
Car dans ces affaires, l’esclavage domestique peut être proche de l’action humanitaire, et le pire voisin du meilleur.
Je ne laisserai pas croire que la France est un pays qui traite mal les étrangers, alors qu’elle se classe parmi les plus généreux en Europe et dans le monde pour l’accueil et l’intégration des étrangers et des demandeurs d’asile, pour l’acquisition de la nationalité, et pour les conditions de rétention des étrangers en situation irrégulière. Je vous signale au passage que je n’ai aucune intention de restreindre la définition des missions des associations qui interviennent dans nos centres de rétention, bien au contraire.
Pour autant, même si aucune condamnation d’un acte humanitaire n’a pu être retrouvée, plusieurs d’entre vous m’ont fait part de leur préoccupation quant à ce qu’ils appellent pour certains un « climat », pour d’autres, plus explicitement, la « pression policière ».
Je ne veux pas balayer ces sentiments d’un revers de main, même si aucun élément tangible ne permet d’accréditer une telle thèse. J’ai compris que l’absence avérée de toute condamnation ne suffisait pas à rassurer suffisamment chacun.
Je vous fais aujourd’hui trois propositions.
Premièrement, bien qu’il n’existe pas de condamnation, je n’estime pas pour autant que notre législation soit parfaite.
Ainsi, l’exonération dont bénéficie l’aide humanitaire, telle que prévue par l’article L.622-4 du CESEDA, peut effectivement paraître rédigée de manière trop restrictive, et conduire un lecteur non averti à penser que seule l’aide aux étrangers en quasi danger de mort est effectivement exonérée des poursuites et condamnations prévues à l’article L.622-1.
Je suis prêt à travailler avec vous pour améliorer cette rédaction. Même si aucun acte humanitaire n’a jamais été poursuivi et condamné, une amélioration de la rédaction de l’article L.622-4 permettrait probablement d’apporter aux acteurs du secteur une sécurité juridique supplémentaire, face à ce qu’ils conçoivent comme un risque non avéré mais potentiel.
Concrètement, nous pourrions notamment compléter cette exemption en y ajoutant clairement l’ensemble des agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dans l’exercice de leur mission, au sens de l’article L.312-1 du code de l’action sociale. Ces travailleurs sociaux sont en effet amenés à apporter au quotidien une aide humanitaire aux étrangers en situation irrégulière dans le cadre de leur mission, et ne peuvent donc pas être inquiétés à ce titre. Exonérer de responsabilité les actes commis dans un but non lucratif n’a pas de sens. Mais exonérer de poursuites les actes commis, dans l’exercice de leur mission, par les agents chargés par la loi d’apporter une aide humanitaire inconditionnelle, relève du bon sens.
Je vous propose donc, premièrement, de travailler ensemble aux compléments qui peuvent être apportés à l’article L.622-4, afin de mieux sécuriser ceux qui peuvent, de bonne foi, et malgré l’absence de condamnation, se sentir inquiets.
Deuxièmement, tout en constatant l’absence de condamnation, plusieurs d’entre vous ont évoqué un « climat de pression policière », qui pèserait sur l’activité quotidienne des associations humanitaires.
Je voudrais vous dire aujourd’hui que malgré l’absence de preuve d’une volonté de gêner ces activités, et malgré les preuves de ma détermination à les encourager, je suis prêt à entendre, aussi, cette préoccupation. Les lieux dans lesquels est apportée l’aide humanitaire doivent être en quelque sorte sanctuarisés, afin de bien marquer le caractère inconditionnel de cette aide. Les lieux où sont soignés, alimentés, hébergés les personnes en situation de détresse, ne sauraient être les cibles d’une politique de contrôle et d’interpellation pour les forces de police et de gendarmerie. Les lieux dans lesquels est apportée l’aide humanitaire doivent selon moi être exonérés de toute initiative des services de police et de gendarmerie, en dehors bien entendu des opérations ordonnées par la Justice, qu’il m’est impossible d’empêcher ou de contrecarrer, et qui peuvent être parfaitement justifiées lorsqu’elles sont indispensables au démantèlement d’une filière.
Un certain nombre d’instructions administratives existent déjà sur ce sujet, empêchant d’ores et déjà les interpellations autour d’un grand nombre de lieux. La France se singularise en Europe par ces limitations multiples à l’action des forces de police. Je souhaite que nous puissions en faire la synthèse et présenter au monde humanitaire un document lui permettant de prendre une vue d’ensemble de cette question. Je souhaite qu’une circulaire, qui sera préparée en lien avec le Ministère de la Justice et le Ministère de l’Intérieur, vienne préciser l’ensemble des lieux qui doivent être exclus, pour des raisons humanitaires, des opérations de contrôle des services de police et de gendarmerie. Je tiens d’ailleurs à saluer la présence autour de cette table des représentants des Ministres de la Justice et de l’Intérieur, avec lesquels nous engagerons dès la rentrée l’élaboration de cette circulaire à destination des Préfets.
J’en viens à ma troisième proposition. Même si la loi exclut toute condamnation d’un acte humanitaire, et même si les services de police et de gendarmerie ne prennent aucune initiative de contrôle autour des lieux où est apportée l’aide humanitaire, il n’en reste pas moins que les étrangers en situation irrégulière constituent un public sensible.
Beaucoup d’entre eux ont été pris en charge par des filières mafieuses, qui plongent leurs racines dans les pays d’origine, et qui se prolongent jusque dans les pays de destination. Ces filières destinent ces personnes, qui sont peu susceptibles de porter plainte et de revendiquer un droit quelconque, à l’exploitation, à l’esclavagisme, au proxénétisme. Le risque qu’une action humanitaire sans discernement puisse contribuer, à son insu, à ces filières d’immigration clandestine, ne doit pas être négligé. Les répertoires téléphoniques de nos centres d’hébergement d’urgence ont été retrouvés dans les pays d’origine de ces réseaux mafieux. L’aide bénévole des uns peut devenir très lucrative pour d’autres. Nos centres d’hébergement d’urgence ne doivent pas devenir les lieux de transit de ces nouvelles mafias. Un certain nombre de précautions doivent donc être prises.
Je vous propose aujourd’hui de lancer l’élaboration d’un guide à destination des bénévoles et des salariés des associations humanitaires, leur permettant de mieux identifier les risques qui s’attachent aux filières d’’immigration clandestine.
Des questions simples et concrètes devront être posées : Peut-on transporter des étrangers en situation irrégulière vers un lieu où ils seront pris en charge par des tiers ? Peut-on effectuer pour leur compte des transferts d’argent vers des tiers ? Peut-on aller au guichet d’une gare pour acheter des billets de train ou d’avion pour leur compte ? Quels sont les signes qui peuvent laisser penser qu’un centre d’hébergement d’urgence est utilisé par une filière d’immigration clandestine ? Peut-on héberger un étranger en situation irrégulière, en toute connaissance de cause, au-delà de l’urgence, et sans limitation de durée ? Peut-on exiger de lui une contrepartie à son hébergement ? Quelles sont les différentes démarches de régularisation envisageables ? Comment un étranger en situation irrégulière peut-il faire valoir ses droits ?
Personne ne demande aux associations humanitaires d’approuver ou de prendre part à la politique de lutte contre les filières d’immigration clandestine. Tel n’est pas leur rôle.
En revanche, dans l’exercice de missions humanitaires, quelques précautions doivent toujours être prises.
Je sais que le monde humanitaire n’a pas attendu aujourd’hui pour réfléchir à ces exigences de nature déontologique. Il est lui-même parfaitement conscient qu’il ne peut éluder la question de la responsabilité, car faire le bien ne suffit pas pour être légitime. Le monde humanitaire doit se préoccuper de la prévention des détournements, sur l’ensemble de ses champs d’action.
Il nous revient aujourd’hui de faire en sorte que le meilleur de l’humanité, de la générosité et de la solidarité, ne s’approche jamais du pire des trafics et de la traite des êtres humains.
Je demanderai à M. le Secrétaire Général du Ministère de piloter l’organisation de ce travail de concertation avec le monde humanitaire au cours des prochains mois, afin que nous puissions de nouveau nous réunir, avant la fin de l’année, pour faire le point sur ces trois propositions d’actions et ouvrir de nouveaux chantiers.
Je vous remercie de votre attention, et vous laisse la parole pour un tour de table.