Paris, le 3 août 2009
Monsieur le Directeur,
C’est avec intérêt que j’ai pris connaissance de l’article de Libération daté de vendredi 31 juillet 2009, portant sur la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte. Si j’ai relevé un certain nombre de données chiffrées exactes, au début de l’article, je note que leur mise en perspective et la présentation de notre politique d’immigration ne sont nullement conformes à la réalité.
Le journaliste reprend, pour fonder sa présentation, les chiffres récemment communiqués par Monsieur le préfet de Mayotte. Il est ainsi parfaitement exact que 9 019 personnes ont été reconduites aux Comores, au cours du premier semestre 2009. Ce chiffre est effectivement en augmentation par rapport à la même période de l’année 2008. Il en est de même des interceptions d’embarcations de fortune sur lesquelles les clandestins tentent, au départ de l’archipel des Comores et plus particulièrement de l’ile d’Anjouan, de rallier Mayotte. Il convient de souligner que ces opérations de contrôle revêtent le plus souvent le caractère d’opérations de secours en mer, tant la traversée est périlleuse. Il est, enfin, exact d’estimer que sur une population de 186 000 habitants, Mayotte compte environ 40% (évaluation INSEE 2007) d’étrangers.
Mais de ces chiffres, votre journaliste tire une interprétation, résumée par le titre de son article (« A Mayotte, la chasse aux clandestins dicte sa loi »), à mon sens totalement erronée. La réalité, c’est que cette ile est soumise, en raison de sa situation géographique, à une pression migratoire massive qui met à mal la cohésion de la société mahoraise et contribue, en alimentant le travail illégal qui fausse gravement la concurrence, à handicaper son développement économique et social. Aussi est-il de la responsabilité première de l’Etat de mener une politique résolue visant à juguler ce phénomène.
Au-delà de ce constat objectif qu’aucun observateur sérieux ne peut contester, la présentation des méthodes utilisées et des moyens mis en œuvre par l’Etat dans l’article précité recèlent certaines omissions et inexactitudes :
Le cadre légal dont l’auteur semble laisser entendre qu’il aurait récemment évolué pour accroitre les pouvoirs des services de police et de gendarmerie, est stable depuis 2000. Calqué sur celui qui s’applique en métropole, il ne comporte que quelques aménagements destinés à répondre à une pression migratoire irrégulière particulièrement intense.
S’agissant des mineurs étrangers isolés, je rappelle que la loi interdit qu’ils fassent l’objet d’une mesure individuelle de reconduite à la frontière. Aussi, ils ne quittent Mayotte qu’en accompagnant un adulte avec lequel ils ont un lien de parenté ou, à défaut, avec le majeur qui assure leur tutelle. Cette pratique, validée par l’autorité judiciaire, est conforme à la notion de parenté telle que la vivent et la conçoivent les citoyens comoriens, singulièrement plus large que celle qui prévaut dans la société française. J’ajoute que ce lien de parenté, ou cette forme de tutelle, est confirmé par l’interrogation du majeur visé par la mesure de reconduite, celle-ci étant effectuée par une association spécialisée, habilitée à intervenir au centre de rétention administrative et agréée par le parquet du tribunal de première instance de Mamoudzou (et non par les services de police).
Concernant les conditions matérielles de rétention administrative, si elles demeurent actuellement assez médiocres, en raison notamment de l’intensité de la pression migratoire qui impose une utilisation maximale chronique du centre, leur amélioration est mon ambition. C’est pourquoi j’ai décidé la construction d’un nouveau centre qui sera livré en 2011, comme l’a annoncé le Premier Ministre, lors de son déplacement dans l’ile le 11 juillet dernier. Ce centre, par sa conception et sa capacité d’accueil accrue, permettra une amélioration majeure des conditions matérielles de la rétention, dont la durée moyenne est, à Mayotte, inférieure à 48 heures.
S’il est vrai, enfin, que le tribunal de première instance de Mamoudzou a sanctionné, le 11 mars 2009, la préfecture pour voie de fait à l’encontre d’une personne en situation irrégulière reconduite aux Comores, au motif que cette personne était apparue mineure postérieurement à l’exécution de la mesure, il faut rappeler que l’expertise de l’extrait d’acte de naissance produit a ensuite établi qu’il était contrefait. Ce constat a motivé la saisine de Monsieur le procureur de la République par le préfet de Mayotte, sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale. Les suites de cette affaire sont donc actuellement soumises à l’appréciation de l’autorité judiciaire.
J’ajoute que dans l’esprit et la pratique du Gouvernement, la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte ne se résume pas à la seule action de reconduite à la frontière. Elle comporte, en effet, un important volet de lutte contre le travail illégal, stratégie qui a conduit, au cours du premier semestre, à la mise en cause de 63 employeurs dans des procédures judiciaires. Elle s’accompagne également d’un vaste effort de coopération et d’aide au développement au profit de la République des Comores, seul l’essor économique de cet Etat voisin constituant, à terme, la véritable réponse à la fuite de sa population.
Renoncer à cette politique ferme mais humaine et solidaire reviendrait à laisser planer une grave menace sur les équilibres internes à la société mahoraise. Enfin, cela serait, me semble-t-il, faire peu de cas de la volonté populaire telle qu’elle s’est encore manifestée de façon particulièrement claire lorsque nos compatriotes ont réaffirmé leur attachement à la France, en se déclarant, le 29 mars dernier, favorables à la départementalisation de leur territoire à plus de 95%.
Je vous remercie de publier ces quelques éléments nécessaires à une information complète et objective de vos lecteurs, sur une situation sensiblement plus contrastée que votre journal l’a récemment dépeinte.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Monsieur Laurent JOFFRIN
Directeur de publication de Libération
11, rue Béranger
75003 PARIS
Eric BESSON