Jeudi 25 septembre, Brice Hortefeux a accordé un entretien à Réforme pour expliquer sa décision d’introduire de la diversité associative dans les centres de rétention administrative.
Réforme : Pourquoi cette ouverture d’un appel d’offre « relatif au marché pour l’information, en vue de l’exercice de leurs droits, des étrangers maintenus dans les centres de rétention administrative » (CRA) alors que la Cimade remplit avec efficacité et compétence cette mission depuis plusieurs années ? Pourquoi ne pas suivre les propositions de la Cimade qui souhaitait s’associer avec le Secours catholique pour assurer ce service ?
Brice Hortefeux : Je souhaite lever quelques malentendus, car j’ai pu lire, ici ou là , des propos erronés qui ne reposent sur aucun fondement. La loi prévoit que les personnes se trouvant dans les CRA bénéficient d’ « actions d’accueil, d’information et de soutien, pour permettre l’exercice effectif de leurs droits et préparer leur départ ».
Réforme : Jusqu’alors, cette mission était confiée à une seule association, la Cimade. Demain, la mission ne changera pas, mais elle sera confiée, en toute transparence, à plusieurs associations. Il ne s’agit pas de rogner les droits des étrangers au sein des CRA. Bien au contraire, la réforme engagée leur permettra, plus facilement qu’aujourd’hui, de bénéficier d’informations et de conseils juridiques.
Brice Hortefeux : Que les choses soient très claires : je ne mets nullement en cause le dévouement et le professionnalisme de la Cimade. Chaque année, cette association reçoit près de 4 millions d’euros, financés sur le budget du ministère de l’Immigration. C’est un effort important consenti par les contribuables. Je sais que la Cimade fait tout pour utiliser au mieux les moyens mis à sa disposition par l’Etat. Mais je le dis tout aussi clairement : je crois qu’elle a aujourd’hui du mal à faire face à l’ampleur de sa tâche. En cinq ans, le nombre de places dans les CRA a augmenté de 77 %. Comme a pu l’écrire le député européen Harlem Désir après une visite en centre de rétention, « la Cimade est aujourd’hui submergée. Elle devrait pouvoir être épaulée par d’autres associations ».
C’est précisément ce que j’ai décidé, en lançant un appel d’offres qui comporte plusieurs lots. Les associations de défense des droits des étrangers peuvent présenter leur candidature. J’ajoute que, naturellement, deux associations - par exemple la Cimade et le Secours catholique - peuvent déposer une offre commune, sans avoir à créer une nouvelle association. Si elles souhaitent être candidates ensemble pour un même lot, elles peuvent le faire, à condition d’agir en leur nom propre (ce qui signifie qu’il n’y a pas de sous-traitance) et de respecter la règle selon laquelle une seule association sera présente dans un centre. Tout cela se fait de manière transparente. Ce qui change, c’est le passage du monopole au pluralisme.
Réforme : Créée en 1939, la Cimade s’est toujours souciée des déplacés, des Alsaciens refusant la germanisation forcée, des Espagnols fuyant le franquisme, puis des juifs… Ces dernières années, ce sont d’autres étrangers qu’elle défend(ait) : des migrants indésirables. En tournant le dos à la Cimade et à son histoire, n’entrez-vous pas en contradiction avec les principes de justice et d’éthique que notre pays et votre gouvernement désirent porter ?
Brice Hortefeux : Je respecte l’action de la Cimade, comme je respecte celle des autres associations défendant les droits des étrangers. Je suis heureux de pouvoir dialoguer de manière approfondie avec les dirigeants de la Cimade, qui ont été reçus une dizaine de fois au ministère. Il n’est nullement question, pour moi, de mettre en cause le travail qui a pu être effectué par cette association et qui le sera, sans doute, demain. Mais je ne vois pas en quoi ouvrir les centres de rétention à plusieurs associations méconnaîtrait l’exigence de respect des personnes retenues ! Je ne sais pas quelles seront les associations candidates et ne veux évidemment pas préjuger du choix qui sera fait dans le cadre de la procédure de marchés publics. Mais je pose une question : si demain, par exemple, le Secours catholique, Amnesty International, Forum Réfugiés, l’ordre de Malte, France Terre d’Asile, le Gisti ou la Croix-Rouge entrent dans les CRA aux côtés de la Cimade, à qui fera-ton croire que les droits des étrangers ne seront pas respectés ?
Réforme : Les textes diffusés par le ministère de l’Immigration veulent contraindre les associations qui répondront à cet appel d’offres à un devoir de neutralité et de confidentialité. Le gouvernement craint-il les regards extérieurs et l’exposition publique des problèmes qui se posent à l’intérieur des centres de rétention ? Supprimer toute vision d’ensemble, en multipliant les intervenants, ne revient-il pas à priver la société de tout droit de regard ?
Brice Hortefeux : Non seulement nous ne craignons pas les regards extérieurs, mais nous les encourageons ! Je rappelle que, pour la première fois depuis l’ouverture des centres de rétention en 1984, une autorité administrative indépendante, le Contrôleur général des lieux de privation des libertés, peut désormais inspecter les CRA, à tout moment, en toute liberté, en rendant compte publiquement de ses visites et de ses recommandations. J’ajoute que, contrairement à ce que j’ai pu lire, les associations qui seront présentes dans les CRA ne seront évidemment pas mises au secret ! La clause de confidentialité et de neutralité qui figure dans l’appel d’offres est une clause générale prévue par le droit des marchés publics.
Concrètement, lorsqu’une association aura connaissance de la situation individuelle d’un étranger retenu en CRA, elle pourra, naturellement, communiquer avec ses proches, l’aider à préparer un recours contentieux et rendre publique toute information - à condition, bien sûr, que l’intéressé ait donné son accord. De même, il est bien évident que les associations présentes dans les CRA pourront toujours, si telle est leur intention, diffuser des rapports publics. J’ajoute que rien n’interdit aux différentes associations, si elles le souhaitent, d’écrire un rapport commun rendant compte de leur mission à l’opinion publique.
Réforme : Le traitement actuel des immigrés sans papiers en France est-il compatible avec l’humanité ou la générosité que notre pays prétend incarner sur la scène mondiale ?
Brice Hortefeux : Depuis ma prise de fonctions, il y a seize mois, je suis attentif à chaque situation sensible qui m’est indiquée. Pour chacune d’elles, je tente, avec humanité mais aussi responsabilité, de trouver une solution conforme à l’intérêt général et aux exigences humanitaires. Et je reste, plus que jamais, attentif au sort des personnes qui sont persécutées dans leur pays. La France est fidèle à sa tradition d’accueil des réfugiés politiques. Depuis la création du ministère de l’Immigration, le nombre des réfugiés accueillis a augmenté de 17 %.
Je me méfie, en revanche, de cette générosité en trompe-l’oeil qui consisterait à ouvrir nos portes à des hommes et des femmes, sans pouvoir leur offrir ni logement ni emploi. Je n’oublie jamais que les premières victimes de l’immigration irrégulière sont les immigrés eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle je lutte sans relâche contre les filières qui exploitent les clandestins et j’agis de manière concertée avec les pays source d’immigration.
Dans un échange d’égal à égal, nous recensons nos besoins et trouvons des solutions concrètes pour maîtriser les flux migratoires et développer leurs pays. Je viens, la semaine dernière, d’effectuer mon quinzième déplacement en Afrique. Et j’ai signé mardi, à Paris, le sixième accord bilatéral de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire. Cela prouve que la nouvelle politique d’immigration de la France est comprise et approuvée par les pays d’origine. Elle l’est aussi par nos partenaires européens, qui signeront le mois prochain, à Bruxelles, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile proposé par la France.