Propos recueillis par Laurent Chabrun, Eric Mandonnet, Ludovic Vigogne.
Il est à la tête d’un ministère, celui de l’Immigration et de l’Identité nationale, dont la création suscita la polémique et dont les objectifs provoquent régulièrement la controverse. Il est aussi l’homme d’une fidélité absolue au chef de l’Etat, qu’il accompagne depuis 1976. Le président lui a demandé de monter au créneau face aux difficultés actuelles. Brice Hortefeux le défend - et se défend.
Brice Hortefeux se dit « convaincu » que le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale a « vocation à s’inscrire dans la durée ».
L’Express : En un an, vous êtes devenu un personnage de premier plan. Mais c’est parce que vous êtes l’un des ministres les plus attaqués, les plus caricaturés, notamment par les Guignols de l’info, sur Canal+. Peut-on être totalement indifférent à cela ?
Brice Hortefeux : Je ne partage absolument pas ce point de vue. Observez combien la politique que je mène, à la fois juste, ferme et équilibrée, est positivement perçue par nos compatriotes. Selon la totalité des enquêtes d’opinion, ils valident l’ensemble des aspects de la politique menée en matière d’immigration. Cela apparaît aussi chez les décideurs et les prescripteurs d’opinion. Il reste le cas des Guignols : je les ai toujours trouvés drôles pour les autres ; pour moi, je me dis qu’il faut l’accepter, même si certaines limites ne doivent pas être franchies, particulièrement quand on touche à la famille. Disons que c’est la contrepartie, pas forcément agréable, de la notoriété.
Vous avez, depuis quelques jours, 50 ans, dont trente-deux passés au côté de Nicolas Sarkozy. Que ne feriez-vous pas pour lui ?
La chance m’a effectivement été offerte de le côtoyer depuis 1976. Je suis heureux de l’accompagner dans les moments à la fois de bonheur et de succès, par définition rares, et dans les périodes politiquement beaucoup plus difficiles. Je ne connais pas l’engagement à géométrie variable, ni la fidélité à cloche-pied. Mon engagement à ses côtés est donc total. C’est possible, car le président, dans le face-à -face direct, accepte toujours le dialogue. La liberté et la franchise qu’il revendique pour lui-même, il les reconnaît aux autres.
L’immigration fait partie des priorités de la présidence française de l’Union européenne, au second semestre de 2008. Quel est votre objectif ?
Aujourd’hui, cinq pays européens concentrent 80 % des flux migratoires : la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Mais j’ai découvert que ce sujet des migrations concernait tous les pays sans exception. A Hô Chi Minh-Ville, le consulat tchèque délivre ainsi plus de visas que la France, alors que nous sommes l’ancienne puissance coloniale au Vietnam… Par ailleurs, Chypre est le pays d’Europe qui concentre le plus fort taux de travailleurs étrangers et de demandes d’asile par rapport à sa population. Mon objectif est d’aboutir à un accord qui laisse à chaque Etat la responsabilité de choisir qui il veut accueillir sur son territoire, mais entraîne chaque gouvernement à s’engager à refuser toute régularisation générale et massive des sans-papiers. Il faut également progresser sur un droit d’asile commun, malgré des traditions vraiment différentes, et envisager la question du développement solidaire de manière coordonnée. C’est une façon très concrète de bâtir l’Europe, ce que nos concitoyens demandent.
Que faire de ces travailleurs clandestins qui font grève pour obtenir leur régularisation, parfois avec le soutien de leurs employeurs ?
Voici la preuve de la très forte capacité d’anticipation de notre politique, puisque, dès novembre 2007, dans la loi que j’ai fait voter, un article envisageait la situation des travailleurs sans-papiers. Je ne mets pas en doute la sincérité de la majorité des employeurs, mais ne peux écarter le fait que certains d’entre eux espèrent se refaire une virginité après avoir employé de manière consciente des clandestins, ce qui leur permettait de ne respecter ni les horaires de travail, ni les salaires minima, ni les droits syndicaux. Parallèlement, la plupart de ces immigrés sont arrivés sur le territoire français sans titre de séjour, sans autorisation, et ont obtenu un travail en fournissant de faux papiers achetés à de véritables filières. Je le dis clairement : il n’est pas question de donner une prime à l’illégalité, même s’il peut exister des situations précises conduisant à des régularisations. Sur un millier de dossiers étudiés, nous en sommes à environ 250. Dans un souci de justice à l’égard des immigrés légaux, dont le taux de chômage (hors Union européenne) dépasse 20 %, les régularisations se limiteront certainement, au total, à quelques centaines de personnes.
Nicolas Sarkozy vous avait fixé des objectifs chiffrés, en particulier en ce qui concerne les expulsions. Où en êtes-vous ?
Il est d’abord nécessaire de préciser que ces objectifs chiffrés servent à faire comprendre, dans les pays d’immigration, qu’on ne peut pas venir sans autorisation en France et que les migrants en situation irrégulière ont vocation à être reconduits chez eux. Ce message est chaque jour mieux compris, puisque, pour la première fois depuis une génération, le nombre de clandestins diminue, ainsi que l’attestent plusieurs indicateurs. Concernant les objectifs de reconduites, mais aussi de lutte contre les filières, le travail illégal et les patrons fraudeurs, ma détermination est totale.
Nicolas Sarkozy s’est prononcé, « à titre intellectuel », pour le vote aux élections locales des étrangers non européens présents en France depuis dix ans, sous conditions de réciprocité. Et vous ?
A titre personnel, j’y suis favorable, sous réserve de la réciprocité. Le président a indiqué que ce n’était pas d’actualité. Comme lui, je pense que la société française n’est pas prête.
Existe-t-il toujours une tentation raciste en France ?
La vigilance, sur ce sujet, doit être totale et permanente. Le risque existe, à l’évidence, à l’encontre de certaines communautés, en raison de leur couleur de peau ou de leur appartenance religieuse. Ce n’est pas acceptable. Parallèlement, j’ai été très choqué que la porte-parole du Mouvement des indigènes de la République traite les Français de « sous-chiens ». Je ne laisserai pas prononcer de tels mots sans réagir.
Les Français mesurent-ils à quel point l’Afrique est, du point de vue démographique et économique, une bombe à retardement ?
L’Afrique compte aujourd’hui 930 millions d’habitants, dont la moitié a moins de 17 ans. Un tiers de la population vit avec moins de 1 euro par jour. En 2030, les Africains seront 1,5 milliard. L’une de nos principales ambitions collectives est précisément d’offrir à la jeunesse d’Afrique un avenir : elle doit pouvoir bien vivre sur ses territoires plutôt que de survivre ailleurs. Lilian Thuram a, à juste titre, rappelé, lors d’un voyage en Guinée-Conakry, que la France et l’Europe ne constituent plus un eldorado.
En quoi l’identité nationale a-t-elle été autre chose qu’un thème de campagne ?
Notre identité s’est forgée, au fil des siècles, avec l’apport incontestable des immigrations successives, mais son avenir suppose le souci de l’équilibre de notre société. En même temps, l’évoquer, c’est répondre à tous ceux qui s’inquiètent de la mondialisation, perçue comme une remise en question de ce qui fait la spécificité française. J’observe d’ailleurs que les débats qu’a suscités la création de ce ministère sont désormais totalement apaisés, car chacun a compris que c’était non la peur ou l’exclusion qui justifiaient cette notion, mais bien la volonté d’optimisme pour l’avenir.
Ce ministère vous survivra-t-il dans sa forme actuelle ?
C’est la première fois depuis des décennies qu’est créé en à peine quelques mois un grand ministère régalien. Je suis convaincu que, comme le ministère de l’Environnement, en 1972, ce ministère a vocation à s’inscrire dans la durée. D’ailleurs, observez que nos voisins, quelle que soit la couleur de leur gouvernement - je pense à l’Espagne socialiste et aux conservateurs suédois - créent des structures similaires.
Vous faites partie du groupe des sept ministres qui se réunit autour de Nicolas Sarkozy, en l’absence de François Fillon. Pourquoi faut-il une équipe parallèle au gouvernement ?
Dans cette équipe, il y a diversité de personnalités, d’expressions et d’engagements ! Elle doit aider le Premier ministre et toute la majorité à engager une nouvelle phase de notre action en expliquant mieux les réformes. Quel est le problème entre Nicolas Sarkozy et François Fillon ?
Sous la Ve République et sauf en cas de cohabitation, il ne peut pas exister de désaccord entre le président et le chef du gouvernement, puisque le premier, qui est élu, nomme le second.
Nicolas Sarkozy n’a jamais été Premier ministre. Cela peut-il expliquer son comportement d’« hyperprésident » ?
Nicolas Sarkozy, par tempérament, est un homme qui s’engage et qui assume donc totalement les risques de l’exposition. Il n’y a pas, dans son esprit, de fausse répartition des rôles - à lui les grands sujets, aux autres la simple gestion. C’est pour cela qu’à côté des sujets internationaux, pour lesquels on mesure aujourd’hui le retour de la France, il s’implique autant dans les préoccupations quotidiennes, de la ligne A du RER aux prix dans les grandes surfaces, qu’il lui arrive, d’ailleurs, de comparer lui-même. Etre le n° 2 de Nicolas Sarkozy, êtes-vous sûr que c’est possible ?
Oui, car il n’a pas la nature d’un Machiavel. Nicolas Sarkozy n’est pas un homme d’arrière-pensées. Ses relations humaines sont faites de franchise totale, chacun sait ce qu’il attend de nous et c’est naturellement aussi le cas de celui qui est le n° 2.
Croyez-vous le président quand il sous-entend, en privé, qu’il pourrait ne pas se représenter en 2012 ?
Je sais que toute son énergie est aujourd’hui tournée vers l’action, en aucun cas guidée par le souci de sa réélection. C’est tout sauf un monomaniaque. Tant de choses en dehors de la politique le passionnent !
Qui est le Nicolas Sarkozy de demain ?
Je n’en vois pas, car il est unique.
Que doit améliorer le chef de l’Etat dans sa pratique présidentielle ?
Après avoir eu l’initiative, simultanément, de réformes si nombreuses, si cohérentes et si indispensables, il peut naturellement, avec l’autorité et la force de conviction qui sont les siennes, en assurer la pédagogie auprès des Français.
L’UMP et la majorité parlementaire sont-elles aujourd’hui des freins à la réforme ?
Le nouveau clivage n’est plus seulement celui des frontières partisanes, il est celui qui sépare ceux qui privilégient l’immobilisme et ceux qui ont conscience que, sans réforme, notre société connaîtra un déclin inéluctable.
Rêvez-vous de Matignon ?
C’est une fonction à laquelle on est nommé et où à laquelle on n’a pas à être candidat. Elle relève du choix du président de la République. Cette responsabilité est aujourd’hui parfaitement assumée par François Fillon : il correspond tout à fait à ce que Nicolas Sarkozy attend, à la veille de la présidence de l’Union européenne, de son Premier ministre. Il y a un an, les plus proches de Nicolas Sarkozy étaient écartés, au moment où leur champion accédait à l’Elysée. Ils ont désormais repris toute leur place, vous en êtes l’exemple le plus flagrant. Avez-vous trouvé que la politique était injuste ?
Nommé voici un an n° 5 du gouvernement, à la tête d’un ministère sensible, je mesure au contraire la chance et l’honneur qui sont aujourd’hui les miens.