Intervention de M. Éric Besson
Ministre de l’immigration, de l’intégration,de l’identité nationale et du développement solidaire
Audition commission des Finances du Sénat
1er juillet 2009
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président de la commission des Finances,
Monsieur le Président de la commission des Lois,
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Président de la 4ème chambre (de la Cour des Comptes),
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
I / La commission des Finances a mandaté la Cour des comptes afin qu’elle effectue une enquête sur la « gestion des centres et locaux de rétention administrative », en application normale de son « droit de suite » dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances.
Le rapport provisoire de la Cour des comptes, complété par la synthèse transmise par son Premier Président, est tout à fait intéressant. Il met en lumière quelques éléments marquants de l’organisation du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, et de sa traduction budgétaire et comptable, dans un seul domaine : celui de la lutte contre l’immigration irrégulière, et plus précisément encore, celui de la rétention administrative.
Nombre de constats de ce rapport me conduisent à revenir sur certains points majeurs relatifs au budget et à l’organisation du ministère.
Il faut rappeler en effet l’extrême jeunesse et la très récente constitution même de ce ministère, puisqu’elle remonte à décembre 2007. C’est en effet la première fois en France depuis 1958 qu’est créé un ministère régalien et, qui plus est, par agrégation de services et de personnels venus de différents ministères.
Cette création répondait à un besoin évident. Des pays toujours plus nombreux se dotent d’un ministère de l’Immigration, dans un souci de cohérence et d’efficacité. L’éclatement des missions entre plusieurs administrations était à l’évidence un mauvais choix. Et s’il est un domaine où il n’y a pas d’« exception française », c’est bien en cette matière. Cette exigence de lutte contre l’immigration irrégulière et de maîtrise des flux migratoires, est partagée avec l’ensemble des pays appartenant à l’espace Schengen. Elle est la condition indispensable à la libre circulation des personnes en Europe. Nos engagements européens, de l’accord signé à Schengen le 14 juin 1985 jusqu’au Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté sous présidence française le 16 octobre 2008, vont dans ce sens.
C’est donc un tout jeune ministère, encore en phase de transition cette année et qui devrait passer en phase de consolidation, en « régime de croisière », dès l’an prochain, ce dont témoignera le projet de budget pour 2010.
Dans un contexte marqué par la révision générale des politiques publiques et le souci d’un Etat assurant le meilleur service à nos concitoyens au meilleur coût, la création d’un nouveau ministère, conçu comme une administration de mission, et devant oeuvrer en étroite liaison et avec les services d’autres ministères (tout particulièrement ceux de l’Intérieur et des Affaires étrangères), la recherche du meilleur coût et des meilleures synergies était indispensable.
Cet objectif se concrétise par des modalités d’organisation qui donnent lieu, pour partie, à observations de la Cour des comptes, observations techniquement pertinentes, mais qui ne conduisent pas forcément à des solutions évidentes et directement opérationnelles.
Je voudrais illustrer ce propos par quelques exemples :
L’idée d’un transfert de la PAF au ministère de l’Immigration, citée par le rapport de la Cour, apparaît en contradiction avec l’un des objectifs majeurs de la RGPP : celui de regrouper toutes les forces de police dans un seul ministère. De plus, la PAF n’est pas le seul service à contribuer à lutter contre l’immigration clandestine, tous les services y participent (police, gendarmerie). De plus, la force d’une politique menée n’est pas conditionnée aux effectifs dépendant directement du ministère qui la conduit.
Il en va de même des conventions de délégation passées avec le ministère de l’Intérieur, que ce soit avec la direction de l’évaluation, de la programmation, des affaires financières et immobilières pour la gestion technique des programmes de construction des CRA, ou de la direction de l’administration de la police nationale pour la gestion des crédits de fonctionnement des CRA. Ces conventions sont et resteront nécessaires, la création de services propres dédiés au sein du ministère de l’Immigration étant inéluctablement plus coûteuse. L’existence de ces conventions ne dessaisit pas ce ministère de ses responsabilités.
Dans la même logique, les services des préfectures et des consulats sont totalement sous l’autorité du ministère et à sa disposition pour appliquer la politique engagée.
II /Au-delà de ces constats, nous sommes très attachés à faire évoluer cette organisation, dans un double objectif : une meilleure efficacité et une meilleure lisibilité de la dépense.
Ainsi, il est vrai que les crédits consacrés aux CRA et aux LRA sont inscrits sur trois grands programmes budgétaires : le 303 « immigration et asile », qui relève de mon ministère, et les programmes 152 « gendarmerie » et 176 « police nationale » qui relèvent du ministère de l’intérieur.
Cette répartition des crédits s’explique très simplement : le ministère de l’Immigration est compétent pour les questions de fonctionnement. Le ministère de l’Intérieur l’est pour les questions de personnel, policiers ou gendarmes, et les questions de soutien, qui ne sont pas systématiquement liés à des actions de lutte contre l’immigration irrégulière : ainsi, les interpellations d’étrangers en situation irrégulière sont souvent connexes à d’autres infractions et consécutives à des opérations de contrôle policier ayant une vocation plus générale de lutte contre toutes les formes d’insécurité.
Je souhaite faire évoluer cette situation, soit pour mieux affirmer la responsabilité propre de ce ministère, soit pour rendre plus lisible les dépenses effectivement consacrées aux CRA et aux LRA.
Ainsi, j’ai obtenu dans les arbitrages budgétaires au printemps que, dans le budget 2010, les crédits consacrés à l’immobilier des CRA soient transférés du ministère de l’Intérieur vers le ministère de l’Immigration. Le code (le CESEDA) va d’ailleurs être modifié en ce sens. Cette modification interviendra lors de l’élaboration des textes réglementaires liés à la loi « gendarmerie » actuellement en discussion.
Des progrès restent en effet à faire, en matière d’identification des dépenses, pour les CRA comme pour les LRA. Des pistes sont actuellement à l’étude et je peux vous dire aujourd’hui que je ferai très rapidement des propositions à mon collègue Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, pour améliorer le dispositif et répondre aux interrogations du rapport de la Cour, en particulier pour les dépenses faites dans les LRA.
III / Je voudrais maintenant apporter des réponses détaillées à quelques grandes questions, pointées par le rapport de la Cour et le Rapporteur de la commission.
Notamment :
1/ les conditions d’accueil en CRA
2/ le taux d’occupation des CRA
3/ le marché de l’assistance juridique au sein des CRA
4/ le taux d’exécution des mesures d’éloignement
5/ le coût des reconduites à la frontière.
1/ Les conditions d’accueil dans les CRA
Tous les CRA disposent d’un règlement intérieur harmonisé au niveau national, qui sert de cadre de référence aux chefs de centre. A titre d’exemple, les articles R. 553-3 et R. 553-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prescrivent que les centres et locaux de rétention sont équipés de téléphones « en libre accès » ; ce qui ne veut pas dire « gratuité des communications ».
Certaines restrictions sont inscrites dans le règlement intérieur, par exemple, celle qui autorise à fumer uniquement dans les cours extérieures. En conséquence, briquets et allumettes ne sont pas autorisés dans l’enceinte du centre.
Des améliorations sont en cours. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait été amené à constater au cours de ses visites qu’il n’existait pas de liste nationale des objets autorisés.
Les services concernés oeuvrent actuellement à harmoniser cette pratique. A l’avenir, le matériel d’écriture sera vraisemblablement permis dans l’ensemble des centres de rétention. Il a, d’ores et déjà, été mis fin aux retraits systématiques qui étaient opérés, dans certains locaux, au nom d’une exigence de protection de la personne qui paraissait exagérée et qui pouvait apparaître comme attentatoire à la dignité humaine (retrait des lunettes et des sous-vêtements féminins).
Des instructions ont également été données aux Préfets, début 2009, pour mieux prendre en compte et à court délai le risque incendie.
2/ Le taux d’occupation des CRA
Ce taux était, au niveau national, de 76% en 2007 et 68% en 2008. Il est exact de constater que ponctuellement, comme à Nîmes très récemment, certains CRA connaissent des situations de sous-occupation temporaire.
Ainsi, à Lille 1, le taux d’occupation était de 14% en 2008. Cette situation s’explique : ce CRA est vétuste et en voie de désaffectation, pour répondre aux demandes de mise aux normes. Il ne sert que quelques jours dans l’année pour soulager Lille 2 en période de forte occupation.
Pour le CRA de Nîmes récemment visité par le Rapporteur, le taux d’occupation se situait à 33% en 2008. Nîmes est situé entre Marseille (69%) et Lyon (69%). Ces deux CRA absorbent une grande partie des interpellations d’étrangers de la région.
En règle générale, la légère baisse du taux d’occupation de 2008 par rapport à 2007 s’explique par les nouvelles conditions pécuniaires mises en oeuvre pour les départs aidés lesquels ont fortement progressé en 2008. Le taux d’occupation baisse : il est de 64% pour le premier trimestre 2009. Les préfectures essaient également, de plus en plus, d’éviter le passage en CRA avant la reconduite de familles.
Ces taux d’occupation montrent donc que la politique de maîtrise des flux migratoires mise en place à partir de la fin 2007 permet d’assurer un remplissage des CRA correspondant à la mise en oeuvre des reconduites à la frontière.
3/ Le marché de l’assistance juridique au sein des CRA
Je voudrais d’abord rappeler – c’est une évidence mais elle est importante – que la priorité des pouvoirs publics est que les étrangers placés en rétention administrative bénéficient des actions d’accueil, d’information et de soutien que la loi a prévu pour leur permettre l’exercice effectif de leurs droits. C’est une double exigence juridique et morale.
Deux éléments sont désormais acquis, après la décision du Conseil d’État intervenue le 3 juin dernier et que le rapport de la Cour des comptes ne pouvait bien entendu pas intégrer :
• l’ouverture des prestations d’assistance juridique au pluralisme associatif – prévue par le décret du 22 août 2008 et contestée par la CIMADE, qui disposait jusque-là du monopole – a été validée. La pleine application du code des marchés publics est également confirmée.
• le contenu des prestations prévues par le décret est conforme aux obligations posées par la loi. Il s’agit bien de permettre l’exercice effectif des droits des étrangers, ce qui comprend des prestations d’information et des prestations de soutien juridique, par exemple l’aide à la rédaction d’un recours.
Le décret est légal. Et l’interprétation faite par le Conseil d’État a bien été celle de l’administration lorsqu’elle a lancé, en décembre 2008, l’appel d’offres ouvrant au pluralisme associatif les prestations assurées dans les CRA. L’objet du marché cite l’intégralité de la disposition validée par le Conseil d’État.
Le juge unique des référés du tribunal administratif (TA) de Paris a cependant, par une ordonnance intervenue avant la décision du Conseil d’État, suspendu l’exécution du nouveau marché qui devait débuter demain et permettre à six associations d’assurer leurs prestations. Cette analyse paraît contestable et un pourvoi en cassation a été introduit devant le Conseil d’État, en attendant que le tribunal administratif statue sur le fond.
Concernant les incidences de la réforme sur l’efficacité de la dépense publique, qui suscitent des interrogations de la Cour des comptes, je voudrais apporter plusieurs éléments au débat.
• L’allotissement du marché, qui n’est pas contesté par le Conseil d’Etat, était une nécessité pour garantir le pluralisme associatif et une véritable concurrence. Avec un lot unique, une seule candidature d’association était fortement envisageable.
• J’ajoute que l’allotissement permet de prendre en compte des problématiques particulières : et notamment l’outre-mer où les recours contre les mesures d’éloignement ne sont pas suspensifs en raison de l’importance de la pression migratoire.
• Le critère prix ne pouvait pas être le déterminant essentiel en matière de choix parmi les offres. Le premier appel d’offres avait été annulé en 2008 par le juge des référés précontractuel au motif que le critère de la compétence juridique n’était valorisé qu’à 15 % au lieu de 40 % pour le prix. À la suite de cette décision, les proportions ont donc été inversées.
• Le résultat de ce nouveau marché, répond bien à vos préoccupations puisqu’il préserve les finances publiques. Son coût annuel moyen (de 4,8 M€) ne doit pas être rapporté, en effet, au coût antérieur (4 M€) car il prend en compte l’augmentation de 524 places de CRA entre 2009 et 2111 (soit + 33 %). Il faut comparer ce qui est comparable et tenir compte des modifications de périmètre. Rapporté au nombre de places en CRA, le coût unitaire passe de 3 030 € à 2 374 € (soit – 22 %).
4/ Le taux d’exécution des mesures d’éloignement
Il convient de l’analyser dans son évolution au cours des années et au regard des causes d’échec. De 2001 à 2006, le taux d’exécution des APRF (arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière) a constamment progressé, passant de 16,6% à 25,7%. Le nombre d’APRF exécutés passant sur la même période de 6 161 en 2001 à 16 616 en 2006. A compter de 2007, des OQTF (obligations de quitter le territoire français), en nombre beaucoup plus important que les APRF, sont appliquées. Ce qui fait mathématiquement baisser le taux.
S’agissant des causes de non-exécution des mises en rétention, j’en retiens deux qui sont essentielles : l’annulation des procédures par décision de justice (pratiquement 34% en 2008) et la non-obtention des laisser-passer consulaires (quasiment 22% en 2008).
Dans les décisions judiciaires, la part des tribunaux administratifs reste tout à fait modeste, avec moins de 3,5%.Ce sont donc les décisions des juges des libertés et de la détention qui contribuent prioritairement à faire échec aux reconduites. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, il est « très difficile de s’appuyer sur une jurisprudence constante » et on ne peut faire une « liste exhaustive des moyens auxquels il est fait droit ». Le souci du détail peut varier d’un juge à l’autre. Et j’ai entendu dire que nombre de services de préfectures cherchaient à éviter l’usage de certains CRA bénéficiant de JLD particulièrement sourcilleux.
S’agissant des laisser-passer consulaires, un travail actif est engagé et sera amplifié pour mieux motiver les consulats étrangers et les gouvernements concernés, dans le cadre notamment des accords de gestion concertée des flux migratoires.
5/ Le coût des reconduites à la frontière.
Je veux souligner trois points :
l’extrême difficulté pour établir de façon fine le coût complet d’une reconduite. En effet, il faut non seulement prendre en compte la diversité des sources d’information budgétaires mais aussi chercher à isoler au sein de ces masses budgétaires la part exacte consacrée à une reconduite. Par exemple, les services de police et de gendarmerie exercent en permanence un ensemble de missions de sécurité publique préventive et répressive, qui peuvent les conduire à interpeller des étrangers en situation irrégulière.
Plusieurs travaux ont néanmoins tenté de cerner au mieux le coût d’une reconduite. Ainsi, votre Rapporteur s’est livré à une première évaluation en 2008. La Cour des comptes donne aussi une évaluation, il est vrai incomplète, dans son rapport. Compte tenu des divergences dans les chiffrages jusqu’à présent rendus publics, il m’a paru indispensable de commander une étude approfondie à l’Inspection générale de l’Administration. J’espère obtenir les conclusions de ce travail à l’automne.
Au-delà des chiffres, nous devons nous poser une question politique sur la portée réelle d’un tel indicateur. Quand bien même nous aboutirions à un chiffre jugé élevé du coût d’une reconduite à la frontière, qu’en tirerions-nous comme conclusions ? Faudrait-il pour autant renoncer à éloigner des étrangers en situation irrégulière ? Faudrait-il même chercher à calculer le coût d’un non-éloignement, à comparer coût d’éloignement et coût de non-éloignement ? Ne faut-il pas mettre au bénéfice des reconduites un coût positif en termes de dissuasion de l’immigration clandestine ?.