Intervention de M. Éric BESSON
Ministre de l’immigration, de l’intégration,de l’identité nationale et du développement solidaire
Discussion de la proposition de résolution européenne
demandant à la Commission européenne de proposer au Conseil
d’appliquer aux ressortissants afghans
le dispositif de protection temporaire prévu par la directive du 20 juillet 2001
Mercredi 10 février 2010
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
« Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu’il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas. Il n’ignore pas davantage que sa propre indépendance implique l’appui de ceux qui s’opposent à la tyrannie. Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » Ces mots sont ceux du Général de Gaulle à Londres, le 1er mars 1941.
Ce pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde, nous continuons à l’honorer chaque jour. La France a inscrit dans sa Constitution, dès 1946, qu’elle accorderait le statut de réfugié à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Elle fut le principal promoteur de la convention de Genève du 28 juillet 1951, qui prévoit que le statut de réfugié est délivré à « toute personne qui craint avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Elle fut l’artisan du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité des 27 Etats membres de l’Union européenne, sous présidence française, le 16 octobre 2008. La France est fidèle à sa tradition d’asile. Elle reste depuis plus de vingt ans, avec les Etats-Unis, l’un des deux premiers pays du monde pour la demande d’asile. La demande d’asile globale adressée à la France au cours de l’année 2009 a de nouveau progressé de plus de 10% par rapport à celle de l’année 2008. 10.900 titres de séjour de réfugiés ont été délivrés au cours de l’année 2009, contre 9.700 en 2008, soit une progression de 12,5%. Sur deux ans, la progression est de 32%.
Le Gouvernement poursuit le renforcement du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile. Les Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA) sont passés de 5.000 places en 2000 à 17.000 places en 2006. Ils en offrent aujourd’hui 21.000. J’ai décidé l’ouverture de 1.000 places supplémentaires en 2010. L’asile représentait un budget de 289 millions d’euros en 2009. Il devrait dépasser 318 millions d’euros en 2010, soit une croissance de 10% par an.
Dans ce contexte, les membres du groupe socialiste du Sénat ont présenté le 14 décembre 2009 une proposition de résolution européenne, demandant à la Commission européenne de proposer au Conseil d’appliquer aux ressortissants afghans le dispositif de protection temporaire prévu par la directive du 20 juillet 2001.
Tout d’abord, au plan formel, comme l’a très justement montré le Rapporteur de la Commission des Lois, Pierre FAUCHON, cette proposition de résolution se fonde sur une directive européenne déjà adoptée. Or, aux termes de l’article 88-4 de la Constitution, les résolutions européennes qui peuvent désormais être adoptées par le Parlement doivent s’appuyer sur des projets ou propositions d’actes de l’Union européenne ou sur tout document émanant d’une institution de l’Union, et non pas sur une directive déjà adoptée.
Cette proposition me semble, surtout, à la fois inopportune et contreproductive.
Elle est inopportune parce que la directive du 20 juillet 2001 fixe trois conditions pour le recours à cette procédure, dont aucune n’est remplie :
Ces trois conditions sont :
un afflux massif,
la saturation des procédures d’examen des demandes d’asile,
l’impossibilité d’un retour dans le pays d’origine.
1. L’existence d’un afflux massif doit être constatée au niveau européen, par une décision du Conseil prise à la majorité qualifiée et sur proposition de la Commission. Or aucun des pays de l’Union européenne n’a constaté un afflux massif de demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan.
La demande d’asile afghane en Europe est aujourd’hui contenue. Le nombre de demandes d’asile reçues par les pays de l’Union européenne a progressivement diminué de 45.000 en 2001 à moins de 15.000 en 2009. Le nombre de demandeurs d’asiles afghans est par exemple inférieur au nombre de demandeurs d’asile irakiens, et égal au nombre de demandeurs d’asile somaliens.
En France, l’Afghanistan ne figure pas parmi les cinq premières nationalités pour la demande d’asile en 2009, qui sont la Serbie, le Sri Lanka, l’Arménie, la République démocratique du Congo et la Russie. On a dénombré 702 demandes d’asiles de ressortissants afghans en 2009, sur un total de 33.200 demandes adressées à la France, soit 2% de la demande globale. Ce faible niveau de la demande d’asile afghane en France a une raison simple : La France est un pays de transit des filières d’immigration afghane vers la Grande Bretagne et l’Europe du Nord. Les ressortissants afghans entrant sur le territoire national, quelle que soit leur situation administrative, se dirigent très majoritairement vers l’Angleterre, la Suède, la Norvège, le Danemark. Leur présence, dans des conditions souvent très précaires, à Paris, entre la gare de l’Est et la gare du Nord, ainsi qu’autour du port de Calais, n’a pas de lien avec une quelconque insuffisance de notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile. La plupart de ces ressortissants afghans ne demandent pas l’asile à la France, et cherchent au contraire à quitter notre territoire.
2. Notre dispositif d’accueil des demandeurs d’asile afghans et d’examen de leurs demandes n’est pas saturé. Les demandeurs d’asile afghans qui auraient vocation à bénéficier d’une protection temporaire en application de la directive du 20 juillet 2001 bénéficient aujourd’hui du droit d’asile en France, sans qu’aucune saturation ne vienne ralentir l’examen de ces demandes et la délivrance éventuelle du statut de réfugié. En 2009, 352 décisions ont été prises par l’OFPRA, conduisant à 127 statuts de réfugiés accordés à des ressortissants afghans. Le taux de reconnaissance d’une protection a progressé de 30% en 2008 à 36% en 2009.
3. Le retour dans le pays d’origine n’est pas impossible. La France a mis en oeuvre des mesures d’éloignement volontaire ou forcé vers l’Afghanistan, chaque année depuis 20 ans, y compris lorsque les Talibans étaient au pouvoir, entre 1997 et 2001. La totalité des pays visés par les filières d’immigration clandestine en provenance d’Afghanistan mettent en place de telles mesures de retour contraint, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, avec plus de 1.000 mesures réalisées au cours de l’année 2009, de la Norvège, avec plus de 100 mesures, de l’Allemagne, avec plus de 40 mesures, ou de la Suède et des Pays-Bas, avec plus d’une dizaine de mesures.
Concernant les mesures d’éloignement mises en oeuvre par la France, le Gouvernement a veillé à ce que toutes les solutions alternatives soient préalablement proposées à ces personnes. Chacune d’entre elles s’est vue proposer le dépôt d’une demande d’asile. Certaines d’entre elles avaient déjà demandé l’asile dans un autre pays européen et y ont été réadmises en application de la Convention de Dublin. D’autres se sont vues refuser l’asile par l’OFPRA. D’autres enfin n’ont pas souhaité déposer une telle demande. Une aide au retour volontaire, comportant à la fois la prise en charge des frais de réacheminement et une aide à la réinsertion, leur a été systématiquement proposée. Plus de 200 ressortissants afghans en situation irrégulière interpellés ont demandé cette aide délivrée en partenariat avec l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) au cours de l’année 2009.
Chacune de ces personnes a bénéficié d’une assistance juridique et administrative dans l’exercice de ses droits, mise en oeuvre par des associations indépendantes, et financée par l’Etat. Chacune a été présentée devant les juridictions de l’ordre judiciaire (Juge des Libertés et de la Détention), qui ont validé l’ensemble de la procédure d’interpellation, de placement et de maintien en rétention, et ont notamment vérifié le respect des droits à chaque étape de la procédure.
Lorsqu’un recours a été déposé devant la juridiction administrative contre la mesure d’éloignement, ce recours a été rejeté, le juge administratif ne considérant pas que l’éloignement de cette personne l’expose à des risques de traitements inhumains. Lorsqu’un recours a été présenté devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ce recours a été lui aussi rejeté.
Chacune de ces personnes a été présentée et identifiée formellement par l’ambassade d’Afghanistan à Paris comme ressortissant afghan engagé dans une procédure de retour contraint.
Ces mesures font application de l’accord entre le gouvernement afghan, le gouvernement français, et le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR), signé le 28 septembre 2002.
Ces mesures font application des lois de la République, qui prévoient que les étrangers en situation irrégulière qui ne disposent d’aucun droit à séjourner sur notre territoire et ne demandent pas ou se voient refuser l’asile ont vocation à être reconduits dans leur pays d’origine.
Car la France ne peut être à la fois l’un des pays les plus généreux au monde pour la demande d’asile en provenance de l’Afghanistan, et l’un des seuls à refuser toute mesure de reconduite contrainte de ressortissants afghans en situation irrégulière. On ne peut pas à la fois être attaché à l’asile et ne pas admettre que ceux qui n’ont pas pu faire la preuve qu’ils relevaient bien de l’asile ont vocation à rejoindre leur pays d’origine.
Dans aucun pays du monde le seul fait d’être originaire d’un pays en situation de conflit interne ou de trouble armé ne vaut titre de séjour. La France ne peut accueillir l’ensemble des ressortissants de tous les pays en guerre dans le monde (20 pays). Les 31 millions d’Afghans, en particulier, ne disposent pas d’un titre de séjour en France au seul motif de leur nationalité.
Cette proposition de résolution est donc à la fois inopportune et contreproductive, parce qu’elle porte atteinte à cette grande tradition républicaine de l’asile, qui est fondamentalement incompatible avec une protection générale et sans condition, et parce qu’accorder une telle protection reviendrait à encourager l’activité, en Europe et en France, des réseaux mafieux de l’immigration clandestine, qui sont aussi ceux du trafic et de la traite des êtres humains. Au moment même où les Etat membres de l’Union européenne travaillent, à l’initiative de la France, au renforcement des frontières extérieures et à l’harmonisation des politiques de l’asile, ce projet de résolution résonne donc comme un contresens.
Je vous remercie de votre attention.