IM n°111 La pratique du français des primo-arrivants dans leur vie privée

25 novembre 2024
 

La maîtrise de la langue française et sa pratique sont des éléments essentiels à l'intégration des nouveaux migrants. Elle constitue une ressource importante pour communiquer, occuper un emploi, accéder à un logement ou procéder à des démarches administratives. Quatre ans après leur admission en France, 85 % des primo-arrivants pratiquent le français dans leur cercle privé, c’est-à-dire avec leur conjoint, enfants ou amis. Le français est moins fréquemment utilisé par les primo-arrivants originaires d’Asie non-francophone ou par ceux ayant été peu scolarisés. La pratique du français joue également un rôle clé dans l’amélioration du niveau de français. Un primo-arrivant pratiquant exclusivement une autre langue que le français ne verra pas son niveau de compréhension du français progresser à l’inverse de ceux l’ayant introduit dans leur quotidien.

Auteur : Alessio Raskine, DSED
 

La compréhension du français est une base nécessaire à l’intégration sociale, économique et culturelle des immigrés qui s’installent durablement dans le pays. Elle constitue pour l’étranger un facteur indispensable pour communiquer, trouver un logement, occuper un emploi stable, ou encore accéder à ses droits [1,2]. Cette compréhension de la langue est fortement corrélée à son usage au quotidien, dans la vie privée comme dans le cadre d’un emploi. Un apprentissage et une progression efficace nécessitent une immersion linguistique et des interactions sociales variées [3]. Cette étude analyse les habitudes de pratique linguistique des primo-arrivants dans leur vie privée et le lien entre ces habitudes et leur niveau de compréhension du français.

L’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants (Elipa 2) suit le parcours d’intégration des immigrés ayant obtenu un premier titre de séjour (hors motif étudiant) d’au moins un an en 2018 dans les dix départements de France métropolitaine où ils sont les plus nombreux. A chaque vague d’interrogation, les enquêtés déclarent leur habitude de pratique linguistique avec leur conjoint, enfants et amis (encadré 1).

86 % des primo-arrivants pratiquent le français dans leur cercle privé

Quatre ans après l’obtention de leur premier titre de séjour en 2018, 86 % des primo-arrivants pratiquent le français dans leur vie privée (fig.1), c’est-à-dire avec leur conjoint, enfants ou amis. Cet usage du français peut être exclusif ou partiel, c’est à dire avec une ou plusieurs autres langues. Trois ans plus tôt, cette part était 21 points plus faible. En particulier, la part des primo-arrivants pratiquant uniquement le français a plus que doublé entre 2019 et 2022 passant de 5 % à 12 %. Dans le même temps, 6 % des enquêtés parlent exclusivement d’autres langues que le français dans leur cercle privé en 2022, soit 10 points de moins qu’en 2019.

L’augmentation de la pratique du français des primo-arrivants s’explique par trois dynamiques. Parmi ceux qui pratiquaient exclusivement des langues étrangères en 2019, près de trois quarts sont passés à une pratique au moins partielle du français les années suivantes. Parallèlement, moins de 10 % de ceux qui pratiquaient totalement ou partiellement le français ont mis un terme à cette pratique, le plus souvent suite à une rupture ou le départ des enfants du logement familial.

Enfin, presque la totalité des personnes vivant seules et sans ami ou connaissance en 2019 et qui se sont installées en ménage ou ont élargi leur cercle social 3 ans plus tard parlent le français.


Fig. 1 : Pratique linguistique des primo-arrivants dans leur cercle privé entre 2019 et 2022

Fig. 1 : Pratique linguistique des primo-arrivants dans leur cercle privé entre 2019 et 2022

Lecture : En 2019, 5 % des primo-arrivants pratiquent uniquement le français dans leur vie privée, ils sont 12 % en 2022. // Champ : Primo-arrivants de 2018, détenteurs d’un titre de séjour de plus d’un an, majeurs, et résidant dans un des départements du champ d’Elipa 2. // Source : DSED, ministère de l’Intérieur, enquête Elipa 2.


 

Plus de 80 % des parents primo-arrivants pratiquent le français avec leurs enfants

La pratique du français des primo-arrivants au sein même de leur ménage renforce les liens familiaux, favorise une communication fluide et le partage des valeurs culturelles du pays [4]. De plus, elle offre aux enfants du foyer une base solide pour réussir académiquement et socialement dans leur nouvel environnement. Cependant, parler uniquement une langue étrangère reste plus fréquent que de n’user que du français au sein de son couple.

En 2019, un an après leur admission au séjour, la moitié des primo-arrivants sont en couple et échangent en français avec leur conjoint (e) deux fois sur trois (fig.2). En 2022, cette part augmente de 5 points et atteint 71 %. Cette hausse s’explique en grande partie par l’installation de la pratique du français dans le couple pour 40 % de ceux qui ne le parlaient pas trois ans plus tôt. A l’inverse, dès que la langue française s’établit dans la relation elle y reste : 90 % des primo-arrivants en couple et pratiquant le français en 2019 maintiennent le français dans leurs échanges en 2022. Sur la même période, trois quarts des primo-arrivants se mettant en couple choisissent d’utiliser au moins partiellement le français entre eux. Cependant, parler uniquement une langue étrangère au sein de son couple reste plus fréquent que de n’user que du français exclusivement. En outre, la part des primo-arrivants pratiquant exclusivement le français avec leur conjoint n’augmente pas sur la période : le nombre de primo-arrivants se mettant à pratiquer uniquement le français étant compensé par le nombre de ceux qui en initie une pratique partielle et ceux qui ne sont plus en couple.

Concernant la pratique du français avec les enfants, les résultats sont très similaires. En 2019, 4 primo-arrivants sur 10 vit avec ses enfants et parle français avec eux dans 75 % des cas (fig.2). En 2022, ce ratio s’établit à 83 %, soit 8 points de plus que trois ans plus tôt. Sur la même période, la moitié des primo-arrivants qui ne parlaient pas français avec leurs enfants ont débuté cette pratique. De même qu’au sein du couple, si parents et enfants échangent en français dès 2019, ils maintiennent cette pratique dans 95 % des cas en 2022. Par ailleurs, entre 2019 et 2022, plus de 8 enfants sur 10 s’installant avec leurs parents primo-arrivants discutent avec eux en français.

Les habitudes linguistiques varient cependant selon l’âge des enfants. Avec les mineurs, plus fréquemment nés ou scolarisés en France, les primo-arrivants pratiquent exclusivement le français dans 55 % des cas et l’excluent dans 12 %. Après leurs 18 ans, le parent ayant pu instaurer une habitude de pratique avant l’arrivée sur le territoire, ces parts atteignent respectivement 37 % et 20 %.

Avec leurs amis ou connaissances, les primo-arrivants parlent le plus souvent en français (85 %). L’utilisation du français devient avec le temps même quasiment systématique : il est choisi dans 95 % des relations qui se sont construites entre 2021 et 2022. Ceux qui pratiquent uniquement d’autres langues avec leurs amis sont trois fois moins nombreux en  2022 qu’en 2019, passant de 12 % à 4 % et représentant ainsi la pratique minoritaire. A l’inverse, ils sont 11 % à n’utiliser que le français en 2022 contre seulement 5 % en 2019.

Fig. 2 : Pratique de la langue au sein du ménage

Fig. 2 : Pratique de la langue au sein du ménage

Lecture : En 2022, 25 % des primo-arrivants ont un ou des enfant(s) dans leur logement et pratiquent le français partiellement avec eux. // Champ : Primo-arrivants de 2018, détenteurs d’un titre de séjour de plus d’un an, majeurs, et résidant dans un des départements du champ d’Elipa 2. // Source : DSED, ministère de l’Intérieur, enquête Elipa 2.



La pratique multiple du français dans le cercle privée

La pratique du français peut être multiple (fig.3), c’est-à-dire présente dans plusieurs cadres de la vie privée : avec les enfants et/ou avec le ou la conjoint(e) et/ou avec les amis. En 2022, la moitié des primo-arrivants ayant l’opportunité de le pratiquer font l’usage du français dans au moins deux cadres de leur cercle privé et un quart pratique le français dans les trois cadres. L’utilisation exclusive d’autres langues que le français est trois fois moins fréquente en 2022 qu’en 2019, passant de 20 % à 6 % des primo-arrivants. Ceux qui ne pratiquent jamais le français 4 ans après leur admission au séjour en France sont ainsi très largement minoritaires.

Fig. 3 : La pratique multiple du français dans le cercle privé

Fig. 3 : La pratique multiple du français dans le cercle privé

Lecture : En 2022, 23% des primo arrivants ayant l'opportunité de pratiquer utilisent le français dans les trois cadres (c’est-à-dire tous) de leur vie privée (conjoint/enfants/amis). // Champ : Primo-arrivants de 2018, détenteurs d’un titre de séjour de plus d’un an, majeurs, résidant dans un des départements du champ d’Elipa 2 et ayant l’opportunité de pratique linguistique en cercle privée. // Source : DSED, ministère de l’Intérieur, enquête Elipa 2.


 

Les plus diplômés, jeunes et originaires de pays francophones sont ceux qui pratiquent le plus souvent le français dans leur cercle privé

Que ce soit selon l’origine, le niveau de diplôme ou l’âge, la pratique du français, même partielle, reste très majoritaire dans la vie privée des primo-arrivants en couple, avec des enfants ou s’étant fait des amis en France (fig.4). Des contrastes émergent toutefois selon les profils des primo-arrivants. Près d’un nouvel immigré sur cinq originaire d’Asie non-francophone pratique exclusivement d’autres langues que le français dans sa vie privée. La moitié de ceux qui pratiquent uniquement d’autres langues sont d’ailleurs originaires d’Asie du sud et de l’est (Chine, Sri Lanka, Bangladesh, Philippines). A l’inverse, les immigrés originaires de pays francophones pratiquent presque tous le français au quotidien. Quant aux primo-arrivants venus d’Afrique non-francophone, 88 % conjuguent l’usage du français avec celui d’une langue étrangère.

De même, la pratique du français des primo-arrivants diffère selon leur niveau de diplôme et de scolarisation. Ceux n’ayant aucun diplôme ou n’ayant jamais été scolarisés parlent uniquement une autre langue que le français dans leur cercle privé deux fois plus souvent que les autres nouveaux migrants (11 % contre 5 %). Au-delà de ce niveau académique, les habitudes de pratique linguistique sont similaires peu importe le niveau scolaire atteint. Par contre, si leur plus haut diplôme obtenu l’a été à l’étranger, les primo-arrivants excluent deux fois plus souvent le * français de leur pratique que ceux ayant étudié en France (7 % et 2 %).

Enfin, en deçà de 40 ans, les primo-arrivants pratiquent au moins partiellement le français dans 95 % des cas. Au-delà, la part des nouveaux migrants qui ne le pratique jamais atteint deux fois celle de leurs cadets (10 % contre 5 %).

Fig. 4 : Pratiques linguistiques des primo-arrivants dans leur cercle privé en 2022 selon leur origine, leur niveau de diplôme et leur âge

Fig. 4 : Pratiques linguistiques des primo-arrivants dans leur cercle privé en 2022 selon leur origine, leur niveau de diplôme et leur âge

Lecture : 5 % des primo-arrivants originaire d’Afrique non francophone pratiquent exclusivement le français lorsqu’ils en ont l’occasion. // Champ : Primo-arrivants de 2018, détenteurs d’un titre de séjour de plus d’un an, majeurs, résidant dans un des départements du champ d’Elipa 2 et ayant l’opportunité de pratique linguistique en cercle privée. // Source : DSED, ministère de l’Intérieur, enquête Elipa 2.



Le lien étroit entre pratique et compréhension de la langue française

Les primo-arrivants enquêtés dans Elipa 2 sont soumis à chaque vague à deux tests de compréhension du français, un oral et un écrit [3]. Construits afin de détecter les nouveaux migrants les plus en difficulté face au français, il est possible d’attribuer à chaque enquêté une note sur 20 à ces tests (encadré 2). Quatre ans après la délivrance de leur premier titre de séjour, la compréhension moyenne des primo-arrivants s’établit à 13/20 et a progressé de 2 points en 3 ans. En 2022, trois quarts obtiennent une note supérieure à 10 et près de la moitié ont une note supérieure à 15 (fig.5). A l’opposé, avec un score inférieur à 5, la langue française reste un obstacle pour 1 primo-arrivant sur 10.

La compréhension du français par les primo-arrivants et leur pratique de la langue au quotidien s'enrichissent mutuellement [5]. Une meilleure compréhension permet de capter les nuances culturelles et linguistiques, facilitant ainsi une pratique plus aisée et contextuellement appropriée. Inversement, la pratique active du français à travers des interactions quotidiennes améliore progressivement la compréhension, en familiarisant les immigrés avec les structures grammaticales et les champs lexicaux appropriés. Cette dynamique d'interaction favorise une intégration linguistique plus rapide et plus efficace.

Les primo-arrivants ne parlant jamais français dans leur cercle privé obtiennent en moyenne en 2022 une note deux fois inférieure à celle atteinte par ceux parlant exclusivement le français avec leurs amis, conjoint et enfants (7,1 contre 14,7). Avec des résultats aux tests linguistiques inférieurs à 5, un nouveau migrant sur quatre pratiquant exclusivement d’autres langues que le français est en extrême difficulté pour comprendre la langue de leur pays d’accueil. A l’inverse, 25 % des primo-arrivants parlant au moins partiellement français dans leur vie privée atteignent une note supérieure à 15 aux tests de compréhension. La pratique quotidienne d’autres langues que le français empêche les immigrés de se familiariser avec les structures linguistiques et le vocabulaire usuel, rendant la communication difficile dans la vie de tous les jours. Cet isolement linguistique, où les immigrés sont entourés de personnes ne parlant pas le français, limite les opportunités de pratiquer et d'améliorer leur niveau. Il réduit également l'exposition aux contextes culturels et sociaux français, essentiels pour comprendre les nuances et les usages de la langue [6]. Ainsi ceux pratiquant exclusivement une langue étrangère comprennent moins bien le français que les primo-arrivants célibataires, sans enfant et sans connaissance en France, ces derniers dépassant une fois sur deux une note supérieure à 12.

Fig. 5 : Distribution des notes aux tests de compréhension du français selon la pratique en 2022

Fig. 5 : Distribution des notes aux tests de compréhension du français selon la pratique en 2022

Lecture : 75% des primo arrivants pratiquant partiellement le français en 2022 ont plus de 10 en 2022 au test de compréhension du français. Près de 50 % de ceux qui pratiquent uniquement le français ont plus de 15 et plus d’un quart des immigrés excluant le français ont moins de 5. // Champ : Primo-arrivants de 2018, détenteurs d’un titre de séjour de plus d’un an, majeurs et résidant dans un des départements du champ d’Elipa 2. // Source : DSED, ministère de l’Intérieur, enquête Elipa 2.



Les nouveaux migrants usant exclusivement du français au quotidien réussissent en moyenne le mieux le test de compréhension que ceux pratiquant partiellement le français, eux-mêmes excédant les notes obtenus par les immigrés plus isolés socialement (fig.5).

Il est complexe de mesurer l’effet de la pratique du français sur le niveau de compréhension de la langue tant de nombreux autres facteurs influencent ce dernier (origine, niveau de diplôme, âge…) [3]. Cette étude propose deux essais économétriques descriptifs de la note obtenue par les enquêtés en 2019 et en 2022 en fonction notamment de leur pratique du français et des évolutions de ces pratiques (encadré 3). A caractéristiques identiques, la note au test de langue en 2019 d’un primo-arrivant pratiquant une autre langue que le français avec son conjoint ou ses enfants est 2,5 à 5,0 points inférieure à celle d’un immigré qui parle, même partiellement, en français dans son ménage. La langue utilisée pour discuter avec ses amis joue également un rôle significatif. Toutes choses égales par ailleurs, la différence de notes entre les primo-arrivants discutant avec leurs amis uniquement en français ou exclusivement dans une langue étrangère est de 1,1 points. Au total, le primo-arrivant privilégiant l’usage unique du français dans sa vie privée atteint une note près de 7 points plus élevée que celui qui n’échange jamais en français.

Les changements de la pratique déterminent également en partie la progression de la compréhension du français. Un primo-arrivant qui ne pratiquait pas le français dans sa vie privée en 2019 et a introduit cette pratique a progressé de 4 points de plus qu’un migrant ayant maintenu la pratique exclusive d’une langue étrangère (fig.6). A caractéristiques identiques, ces derniers ne progressent d’ailleurs pas en trois ans.

Fig. 6 : Impact du changement de pratique sur le niveau de compréhension du français toutes choses égales par ailleurs

Fig. 6 : Impact du changement de pratique sur le niveau de compréhension du français toutes choses égales par ailleurs

Lecture : Les primo-arrivants qui se sont mis à pratiquer le français entre 2019 et 2022 ont, toute autre chose égale par ailleurs, progressé de 2,7 points sur la période et atteignent une note de 13,7. // Champ : Primo-détenteurs d’un premier titre de séjour en 2018, de plus d’un an, majeurs et résidant dans un des départements du champ d’Elipa 2. // Source : DSED, ministère de l’Intérieur, enquête Elipa 2.



D’autres facteurs jouent un rôle significatif dans le niveau et la progression en français

Origine, niveau de diplôme et âge constituent les principaux déterminants de la progression en français des primo-arrivants entre 2019 et 2022. A caractéristiques égales (encadré 3), un primo-arrivant ayant atteint la note moyenne en 2019 progressera de 4 points de moins s’il est originaire d’Asie ou d’Afrique non francophone que s’il vient d’un pays francophone. De même, les primo-arrivants les moins diplômés progressent de 3 points de moins que les plus diplômés. Enfin, les nouveaux migrants de moins de 30 ans voient leur score au test de langue augmenter de 4 à 5 points de plus que leurs ainés. En revanche, très peu de différences significatives sont constatées selon le genre, la durée de présence en France et le motif d’admission au séjour.

Au final, la pratique du français au quotidien joue un rôle moins important que les caractéristiques individuelles des primo-arrivants dans leur niveau de compréhension du français. Ceci dit, la pratique du français impacte différemment ce niveau selon le profil des primo-arrivants. Par exemple, à caractéristiques égales, les immigrés titulaires du Bac, d’un BEP ou d’un CAP progressent d’autant plus en français qu’ils le pratiquent, à l’inverse des autres primo-arrivants. En effet, pour les diplômés de l’enseignement supérieur, parler en français au quotidien influe peu sur leur niveau de français déjà très haut, en particulier si ces derniers ont étudié en France. A l’opposé, pour les primo-arrivants n’ayant été que peu scolarisés et éprouvant de grandes difficultés d’apprentissage, leur niveau en français est trop faible pour que sa pratique leur soit significativement bénéfique. Par contre, dans les niveaux de scolarisation intermédiaires, les primo-arrivants ayant déjà une expérience aboutie d’apprentissage et un niveau initial en français suffisant pour en rendre la pratique utile, progressent d’autant plus qu’ils parlent français au quotidien.


Et au-delà du ménage et des amis ?

Le cercle privé des primo-arrivants s’étend au-delà de leur ménage ou de leurs amis. Leur environnement de vie en fait également partie et peut constituer un moteur comme un frein à leur progression en français [7]. Un quartier où la diversité des origines est grande va encourager et faciliter les interactions dans la langue française en particulier avec les locuteurs natifs. A l’inverse, les immigrés s’installant dans un quartier où les ressortissants de leurs pays  sont très présents sont moins exposés à la langue de leur pays d’accueil, et peuvent se sentir moins incités à apprendre le français, moins indispensable. En effet, à caractéristiques égales (encadré 3), la note au test de langue en 2019 d’un primo-arrivant vivant dans un quartier où les immigrés de la même origine représentent 30 % des étrangers du quartier est 6 points supérieure que s’il vivait dans un quartier où cette part atteint 60 %.

La pratique du français des primo-arrivants s’étend aussi au-delà de leur cercle privé. Il existe pour l’immigré d’autres opportunités pour parler français. Le milieu professionnel constitue un autre lieu propice pour s’exercer et joue tout autant un rôle déterminant dans l’intégration de l’immigré. Y parler français améliore les perspectives d'emploi et assure une meilleure communication avec les collaborateurs et supérieurs. Cette pratique du français renforce également la confiance en soi tout en élargissant le réseau professionnel, et il convient de l’étudier également [8].

Encadré 1 : La mesure de la pratique du français dans ELIPA 2

Dans Elipa2, deux questions relatives aux langues parlées avec le conjoint et les enfants sont posées à l’enquêté. Il dispose des modalités de réponse suivantes :

  • Pas de conjoint(e) / Pas d’enfant présent dans le logement
  • Pratique le français et une ou plusieurs autres langues
  • Pratique uniquement le français
  • Pratique uniquement une ou plusieurs autres langues

Pour les relations amicales, l’enquêté déclare s’il avait des connaissances à son arrivée sur le territoire français, s’il en a fait de nouvelles les douze mois précédant sa dernière interrogation et de quelle origine sont ces connaissances. À partir de ces informations, on approxime la langue pratiquée dans le cercle amical : l’enquêté parle le français s’il a des connaissances originaires de pays francophones et le parle exclusivement si toutes ses connaissances sont originaires d’un pays francophone.

Avec ces trois informations, la variable synthétique décrivant la pratique du français dans le cercle privé des primo-arrivants est définie comme suit:

Encadré 1 La mesure de la pratique du français dans ELIPA 2

A noter toutefois que le terme de « pratique partielle du français » recouvre un spectre d’habitudes de pratique de la langue assez large. Une pratique très occasionnelle comme très récurrente peut s’inscrire dans cette catégorie. De la même manière, Elipa 2 ne décrit pas l’état exact des relations amicales ni leur fréquence.


Encadré 2 : Construction d’un indicateur synthétique de la compréhension du français

Dans Elipa 2, les enquêtés sont soumis à deux tests de compréhension du français, un oral et un écrit, à chaque vague d’interrogation [3]. Ces tests se traduisent par une note sur 18 points pour l’oral et une sur 23 pour l’écrit. Durant les tests, l’enquêteur a la possibilité de mettre un terme à l’examen s’il considère que l’enquêté n’est pas en mesure de répondre aux questions pour cause d’un niveau trop faible. Dans ce cas la note attribuée pour le test abandonné est 0. Une note unique de compréhension du français tenant compte de l’écrit et de l’oral est estimée pour chaque vague en moyennant les deux notes obtenues :

note = α.Oral + β.Ecrit avec α et β = 1 et α,β > 0

α et β ont été choisis de façon à prendre compte de la corrélation entre les deux compréhensions et la plus forte dépendance de l’écrit par rapport l’oral au premier stade de l’apprentissage linguistique [3], à assurer la continuité de la distribution, à certifier de la cohérence entre les résultats des trois vagues de l’enquête, et à garantir de la robustesse des estimations à un faible changement de ces paramètres.

Les tests de compréhension du français d’Elipa 2 ne permettent toutefois pas de distinguer complètement les écarts de niveau entre les enquêtés. En effet, environ un quart se voient attribué la note de 0 ou de 20. Compte tenu du niveau relativement bas des tests, le niveau des individus à 0 est homogène mais la note de 20 recouvre un spectre étendu de niveau de français. α et β ont aussi été choisis afin de limiter les possibles biais d’interprétation des valeurs extrêmes. Ainsi α=0,64 et β=0,36.

La pondération choisie donne une moyenne de 11 sur 20 à la première vague de l’enquête et de 13 à la troisième.


Encadré 3 : Modèles explicatifs du niveau de français

Deux essais économétriques sont réalisés afin d'analyser l’influence des attributs personnels des primo-arrivants, de leurs habitudes de pratique linguistique et des caractéristiques de leur lieu de vie sur leur niveau de compréhension du français. Un premier modèle estime la note obtenue en 2019 pour chaque enquêté avec :  

Encadré 3 formule 1

Avec : ps2019 la  note de 2019 ramenée à l’intervalle ]0, 1[,
- X les caractéristiques des primo-arrivants (origine, niveau de diplôme, âge, durée de présence en France, genre et motif d’admission au séjour)
- PRATIQUE la pratique du français dans le cercle privée des enquêtés,
- PRO : la pratique du français en milieu professionnel,
- FORMA valant 1 si l’individu bénéficie de formations linguistiques dans le cadre du CIR, 0 sinon, et utilisé comme variable de contrôle du niveau en 2018
- TERRITOIRE variables descriptives du quartier de résidence du primo-arrivants (part des immigrés français vivant dans le quartier, part des immigrés de la même origine que l’enquêté dans le total des immigrés du quartier, densité d’établissements de formations continues, notamment linguistiques, et si le quartier est un quartier prioritaire de la politique de la ville),
- DEP un effet fixe département de résidence de l’enquêté
- ε perturbations vérifiant les hypothèses usuelles.

Un second modèle estime la note obtenue en 2022 par chaque enquêté avec :

Encadré 3 formule 2

Avec ps2022 la note de 2022 ramenée à l’intervalle ]0, 1[,

- n2019  : la note obtenue par l’enquêté lors du test de langue de la vague 1 en 2019,
- ΔPRATIQUE : évolution de la pratique du français dans la vie privée des enquêtés entre 2019 et 2022,
- ΔPRO : évolution de la pratique du français en milieu professionnel,
- ε perturbations vérifiant les hypothèses usuelles

Des interactions sont introduites dans chaque modèle afin de mesurer les effets multiplicateurs entre plusieurs facteurs déterminants du niveau de compréhension de français des primo-arrivants.
Les estimations des modèles sont disponibles dans les figures complémentaires de l’étude sur www.immigration.interieur.gouv.fr


Définitions

Cercle privé : ce terme caractérise les situations sociales dans lesquelles des pratiques linguistiques peuvent avoir lieu. Il est utilisé pour différencier ces situations du cadre professionnel. Dans cette étude, le cercle privé combine les relations amicales, les relations conjugales et les relations parent-enfant.

Primo-arrivant : un primo-arrivant est, dans Elipa 2, une personne originaire d’un pays tiers à l’Union européenne des vingt-huit, l’Islande, la Norvège, le Lichtenstein et la Suisse disposant d’un premier titre de séjour d’au moins un an délivré en 2018 (hors motif étudiant).

Pour en savoir plus

[1] Dustmann C., & Fabbri F., « Language proficiency and labour market performance of immigrants in the UK. », The economic journal, 113(489), 695-717, 2003.

[2] Adami H., & Leclerq V.,« Les migrants face aux langues des pays d'accueil : Acquisition en milieu naturel et formation. », Nouvelle édition Presses universitaires du Septentrion, 2012.

[3] Ninnin L-M., « La compréhension du français des primo-arrivants », Les premières années en France des immigrés, Elipa 2, 2024.

[4] Roulstone, S., et al., Investigating the role of language in children’s early educational outcomes: an analysis of data from the Avon Longitudinal Study of Parents and Children (ALSPAC), 2011.

[5] Winitz H.,The Relationshio Between Comprehension and Production,Comprehension Strategies in the Acquiring of a Second Language,. Palgrave Macmillan, Cham, 2020.

[6] Adami H., Le français pour adultes migrants : contextes et proposition didactiques, Hachette FLE, 2019.

[7] Kaushik, V., Walsh, C. A., & Haefele, D.Social integration of immigrants within the linguistically diverse workplace: A systematic review. Review of Social Sciences, 1(1),15-25, 2016.

[8] Raskine A., La pratique du français en milieu professionnel. Infos-Migrations, publication à venir.

 

Références