Discours M. Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur, à l’occasion de la signature de la déclaration conjointe franco-britannique
à Calais, le 20 août 2015
- Seul le prononcé fait foi -
Madame la Ministre, Chère Theresa MAY,
Monsieur le Secrétaire d’Etat,
(James BROKENSHIRE)
Madame la Préfète,
Madame et Monsieur les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Comme nous le savons tous, l’Europe connaît aujourd’hui une crise migratoire d’une exceptionnelle gravité. Avec plus de 340 000 entrées irrégulières dans l’espace Schengen au cours des sept premiers mois de l’année, l’ensemble des pays européens doit faire face à des afflux de migrants d’une ampleur exceptionnelle.
Cette crise a, comme vous le savez également, des conséquences particulièrement visibles dans le Calaisis, où se retrouvent naturellement, au terme d’un long et dangereux parcours, ceux des migrants en provenance de la Méditerranée qui ont le projet de gagner le Royaume-Uni. Leur nombre est aujourd’hui de trois mille. Cette pression migratoire n’est pas sans impact sur la ville de Calais et le Calaisis, notamment en termes économiques. Je veux ici saluer la générosité et l’’humanité dont font preuve les Calaisiens à l’égard des migrants.
Face à cette crise très sérieuse, face aux inquiétudes qu’elle suscite parfois chez nos concitoyens, face aux situations de détresse humanitaire qu’elle provoque, deux réactions sont possibles.
Certains font le choix d’exalter les égoïsmes nationaux, de dénoncer l’incurie supposée des gouvernements étrangers, de jeter l’anathème sur les migrants, dépeints comme des profiteurs ou des déserteurs, d’appeler de façon incantatoire au rétablissement des frontières, y compris là où elles n’ont jamais disparues. Des deux côtés de la Manche, on a trop souvent entendu de telles outrances au cours des semaines passées.
Et puis, il y a le choix de la lucidité et de la responsabilité, qui est aussi le choix de l’humanité et de la fermeté. Ce choix nous conduit à rechercher et à mettre en place des solutions efficaces pour réguler les flux d’immigration, pour accueillir humainement les migrants, pour assumer nos obligations en matière d’asile et pour lutter contre les filières criminelles de passeurs. Ce choix nous commande également de reconnaître que la solution à cette crise ne saurait résider dans des initiatives nationales désordonnées, mais dans la coopération entre les États européens concernés.
C’est là le sens de la démarche adoptée depuis plusieurs mois par les Gouvernements français et britanniques. Et je tiens à remercier, pour son action décisive dans ce domaine, mon homologue britannique Theresa MAY, avec laquelle nous travaillons en pleine confiance. La Déclaration conjointe que nous venons de signer, elle et moi au nom de nos Gouvernements, constitue une nouvelle et importante illustration de cette coopération franco-britannique que la gravité de la situation rend particulièrement nécessaire.
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De fait, depuis l’été dernier, nos Gouvernements ont agi de façon résolue pour apporter ici une réponse à la hauteur de la crise migratoire. Je me suis moi-même rendu à plusieurs reprises à Calais pour assurer le suivi des décisions prises et veiller à leur bonne application.
Tout d’abord, comme je m’y étais engagé, l’accueil humanitaire des migrants a été nettement amélioré. Une structure d’accueil de jour a été ouverte au terme d’un dialogue fructueux entre l’État – qui a financé les aménagements et le fonctionnement –, la mairie de Calais – qui a mis les lieux à disposition –, les associations et le prestataire « La Vie active » – qui en assurent le fonctionnement quotidien. L’Union européenne a également contribué et subventionné les deux tiers du projet. Le centre Jules FERRY peut ainsi servir actuellement en moyenne 2 000 repas par jour et permet aux migrants d’accéder à des sanitaires, à des douches et à des prises électriques. Un centre d’hébergement d’une centaine de places pour les femmes et enfants a également été créé pour mettre à l’abri ces publics très vulnérables.
Ensuite, un dispositif a été mis en place pour que les migrants relevant de l’asile puissent le demander aussi en France. Conformément aux dispositions prévues par la nouvelle loi relative à l’asile, récemment adoptée par le Parlement français, nous leur garantissons un logement en dehors de Calais, plutôt que de les inciter à un passage périlleux et meurtrier à travers le tunnel sous la Manche. A ce jour, plus de 900 migrants ont ainsi demandé la protection en France et ont pu quitter Calais dans de bonnes conditions.
Nous avons fait cette semaine appel à la Commission européenne afin qu’elle contribue financièrement à la création de places d’hébergement pour les migrants qui s’engagent dans cette démarche, ainsi qu’à l’aménagement du campement de la Lande. Le commissaire AVRAMOPULOS m’a fait savoir que cette demande serait examinée très soigneusement. Et il m’accompagnera à Calais dès le 31 août prochain, avec le premier vice-président de la Commission, Frans TIMMERMANS, pour évaluer la situation et préciser la contribution que l’Union européenne apportera à cette politique.
Enfin, les services préfectoraux et les forces de l’ordre sont engagés avec détermination dans la lutte contre les filières d’immigration clandestine. Au cours des sept premiers mois de l’année, ce sont ainsi 19 filières opérant vers le Royaume-Uni qui ont été démantelées, contre 14 sur l’ensemble de l’année 2014. Pas moins de 514 trafiquants ont ainsi été interpellés depuis le mois de janvier, soit 18 % de plus que l’an passé au cours de la même période.
Parallèlement, les autorités françaises et britanniques ont agi de façon conjointe pour renforcer le dispositif de sécurité existant à Calais. Le Gouvernement britannique a fortement contribué à la sécurisation du port à Calais, à travers un fonds conjoint qu’il a financé à hauteur de 15 millions d’euros, puis à la sécurisation du site d’Eurotunnel et de sa périphérie. De son côté, le Gouvernement français a considérablement renforcé la présence policière sur place. Aujourd’hui, ce sont 1300 policiers et gendarmes qui sont mobilisés sur le site de Calais, dont 500 ont été envoyés en renfort par ce Gouvernement.
Je souhaite ici rendre hommage au grand professionnalisme avec lequel ces hommes et ces femmes accomplissent leur mission, dans des conditions difficiles, afin de prévenir chaque jour les intrusions des migrants dans le tunnel, intrusions très dangereuses, et parfois mortelles, pour les migrants eux-mêmes.
Grâce à leurs efforts, les intrusions dans le tunnel ont diminué drastiquement ces vingt derniers jours. Depuis la fin du mois de juillet, le nombre quotidien de ces tentatives a même été diminué par dix.
L’action résolue des forces de sécurité a donc permis de sauver des vies et d’arrêter, comme je l’ai dit, de nombreux criminels. Elle a également permis de procéder à plus de 1000 reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière.
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Aujourd’hui, nous avons décidé avec Theresa MAY de renforcer encore notre coopération en matière de sécurité et de lutte contre les filières criminelles et de l’étendre à de nouveaux sujets, concernant certains aspects humanitaires de l’accueil des migrants. C’est l’objet de la déclaration conjointe des Gouvernements français et britannique que nous venons de signer.
Quels en sont les points saillants ?
Il s’agit d’abord d’améliorer encore la sécurité du tunnel sous la Manche et du port de Calais. La France, je l’ai dit, a renforcé son dispositif grâce au déploiement d'unités mobiles supplémentaires. De son côté, le Royaume-Uni va apporter des moyens sophistiqués pour sécuriser le site du Tunnel et pour renforcer la sécurité de l’accès au Tunnel lui-même. Des travaux ont du reste déjà commencé le long des quais d’embarquement du fret, comme nous avons pu le constater lors de notre visite sur le site ce matin. En outre une nouvelle salle de contrôle intégrée sera mise en place afin de gérer les dispositifs de vidéo-protection et les équipements de détection. Des équipes supplémentaires de fouille du fret seront déployées 24H sur 24 et 7 jours sur 7 pour réduire le nombre des tentatives de passages clandestins.
Par ailleurs, la société Eurotunnel a également signé aujourd’hui une convention de recrutement d’une centaine d’agents de sécurité visant à renforcer la surveillance du site. Nous nous en sommes entretenus dans la matinée avec le Président d’Eurotunnel, Jacques GOUNON, qui a pour premier objectif d’assurer la continuité et la fluidité du trafic dans des conditions satisfaisantes de sécurité. A cette fin, un protocole de coopération a également été signé dans ce cadre entre le Ministère de l’intérieur et la société Eurotunnel. Nos Gouvernements sont décidés à l’aider, notamment à travers un audit de sécurité, qui a été effectué la semaine dernière par les experts du RAID et de la police du Kent, et à travers la mise en place d’un programme commun semestriel d’inspections.
Il s’agit ensuite de renforcer la coopération entre les services de sécurité français et britanniques, afin de de lutter plus efficacement contre les trafics d’immigration illégale. La France a, sur ce sujet, beaucoup insisté pour que notre coopération soit renforcée. Au sein de nos services respectifs, nous avons donc désigné deux « hauts responsables », que j’ai pu rencontrer aujourd’hui et qui seront chargés d’assurer un commandement unifié avec pour objectif de démanteler les réseaux de passeurs. En outre, un centre de commandement et de contrôle intégré sera établi à Coquelles, qui comprendra des personnels des forces de sécurité intérieure française et britannique appelés à travailler ensemble au quotidien. Le centre de Calais sera soutenu dans son travail par le centre existant déjà à Folkstone au Royaume-Uni. Ce dispositif permettra notamment d’accroitre les échanges de renseignements opérationnels entre nos services et de déboucher sur des enquêtes conjointes contre les réseaux criminels qui organisent le trafic de migrants et agissent de part et d’autre de la Manche. Les ministères publics de nos deux pays travailleront également ensemble à l’ouverture de poursuites judiciaires et à la condamnation de leurs responsables. La plus grande fermeté sera de mise, face aux acteurs cyniques de la traite des êtres humains.
Mais, comme je l’ai dit, notre coopération ne s’arrêtera pas aux seules questions de sécurité. Nous entendons également aborder conjointement, de façon responsable et humaine, la question de la prise en charge des migrants à Calais. Face à un problème humanitaire de cette ampleur, nous devons améliorer encore la protection des plus vulnérables – en particulier les femmes et les enfants victimes de la traite – en les mettant à l’abri dans des logements protégés. A l’égard des migrants qui ne sont pas susceptibles de demander l’asile, nos gouvernements souhaitent faciliter les retours volontaires vers les pays d’origine, à travers des programmes d’aide, en collaboration avec les ONG françaises et britanniques. Mais il nous faut parallèlement améliorer l’information de ceux qui souhaitent bénéficier d’une protection humanitaire, organiser leur logement en dehors de Calais et accélérer le traitement de leurs demandes.
Ces dispositions, qui sont nécessairement coûteuses, bénéficieront d’un soutien financier du Gouvernement britannique à hauteur de 5 millions d’euros par an pendant deux ans. Au total, ce sont donc déjà 35 millions d’euros que le Royaume-Uni aura apporté afin d’améliorer la situation à Calais. Nous devons en savoir gré à nos partenaires britanniques.
Pour évoquer ce dispositif, nous avons rencontré ensemble ce matin les responsables des associations qui travaillent au Centre Jules Ferry afin de porter secours aux femmes et aux enfants vulnérables, qui ont souvent enduré de terribles épreuves avant d’arriver à Calais. Je tiens à leur rendre hommage et à leur réaffirmer notre volonté de soutenir le travail remarquable qu’elles effectuent pour soulager la détresse de ces migrants. Nous n’accepterons jamais que ceux-ci soient traités en boucs-émissaires.
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Tels sont donc les grands engagements que nos deux Gouvernements prennent afin de répondre localement, dans le Calaisis et indirectement dans le sud de l’Angleterre, aux effets de la crise migratoire qui affecte globalement notre continent. Je tiens à saluer encore une fois Theresa MAY et le Gouvernement britannique pour leur volonté d’apporter tout leur concours au traitement de ces problèmes.
Mais, Français et Britanniques, nous sommes également conscients de ce que les solutions de moyen terme à cette crise doivent être recherchées aux niveaux européen et international. Nous ne pouvons pas nous contenter d’en subir les effets sur les bords de la Manche. C’est pourquoi nous sommes convenus de travailler ensemble, en lien avec les institutions européennes et avec d’autres États membres, notamment avec l’Allemagne, pour faire avancer plusieurs chantiers qui doivent être au cœur de la politique migratoire européenne ainsi que de la de lutte contre l’immigration irrégulière. Je me rendrai du reste à Berlin dès ce soir pour discuter de ces sujets avec mon homologue Thomas de MAIZIERES. Notre rencontre fera également l’objet d’une déclaration commune.
La mise en place effective des « hotspots » , zones d’attentes à l’arrivée des migrants en Italie et en Grèce, permettant de les identifier, de les enregistrer et de faire la distinction entre migrants en besoin de protection et migrants irréguliers, d’abord, est l’une des principales conditions que la France et l’Allemagne ont posée pour accepter de prendre en charge des personnes relocalisées au départ de ces deux pays. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne se tiennent prêts à apporter leur soutien à l’Italie et à la Grèce dans cette perspective, notamment sous la forme de l’envoi sur place de personnels qualifiés et expérimentés.
Afin de progresser sur la question du retour des migrants irréguliers, ensuite, la France et le Royaume-Uni demandent à la Haute Représentante de lancer très rapidement des dialogues à haut niveau avec les principaux pays sources et de transit, comme les chefs d’État et de gouvernement l’ont demandé le 26 juin dernier.
Nous souhaitons également accélérer la mise en place, d’ici la fin de l’année au plus tard, d’un centre d’aide au retour et de prévention des départs au Niger, sous l’égide de l’Organisation internationale des Migrations et en mobilisant des financements européens. La création d’un centre similaire devra être étudiée en Afrique de l’Est. Les pays d’origine et de transit doivent également être davantage aidés et soutenus dans la gestion de leurs espaces frontaliers et dans la lutte contre les réseaux criminels.
Enfin, comme vous le savez, la question du partenariat avec les pays source et de transit sera au cœur des échanges entre pays européens et africains lors du Sommet qui se tiendra à La Valette le 11 novembre prochain. Il nous appartiendra de veiller à la bonne préparation de ce sommet, afin qu’il aboutisse à des résultats concrets et opérationnels dans l’esprit d’un partenariat renouvelés avec les pays africains.
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Avant de donner la parole à Theresa MAY, qui souhaitera à son tour commenter cette déclaration conjointe, permettez-moi de rappeler les fortes paroles prononcées en 2004 par Sa Majesté la Reine lors du dîner d’État offert à l'Élysée à l’occasion de sa visite à Paris. Nos deux pays célébraient alors le 100ème anniversaire de « L’Entente Cordiale ».
« Ni les deux grandes nations que nous sommes, ni l’Europe, ni l’Alliance Atlantique, déclarait-elle alors, ne peuvent se permettre de se désolidariser ou de se quereller face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés sur le plan de notre sécurité et de notre prospérité. »
Il me semble, Chère Theresa MAY, que nous avons suivi de façon scrupuleuse, à notre façon et dans des circonstances qui étaient pourtant propices à la polémique et à la division, la sage recommandation que nous faisait voici onze ans votre Souveraine. Et je veux donc vous remercier une nouvelle fois, à titre personnel, pour votre engagement constant en faveur de la solidarité et de la coopération franco-britanniques.