Il est des dates qui marquent à jamais la mémoire collective d’une nation. À l’évidence, le 11 novembre 1918 en est une.
L’armistice mit fin à une guerre fratricide comme le monde n’en avait jamais connu jusqu’alors. C’est aujourd’hui un repère pour la mémoire nationale, mais aussi pour la mémoire européenne. Car il marque un cap : un cap franchi certes dans la douleur, mais un cap libérateur. Pendant quatre ans, l’Europe s’était déchirée sans mesure, ni pitié. Elle pouvait désormais pleurer ses morts dans la paix, se consacrer aux retrouvailles, et, surtout, tenter de se reconstruire.
Si je m’exprime en ce quatre-vingt-dixième anniversaire, c’est parce que la date du 11 Novembre fait partie de celles qui nous invitent à mieux comprendre notre héritage national. Comme chacun de nos monuments aux morts, elle témoigne du lourd tribut des familles françaises au premier conflit mondial.
Le legs que nous avons reçu il y a quatre-vingt-dix ans est d’abord celui d’une conscience du prix de la paix et de la nécessité d’œuvrer pour elle. La génération qui suivit la guerre - dont les enfants croisaient tant de ces « gueules cassées », tant de ces « veuves » appelées « mademoiselle », car elles portaient le deuil d’un fiancé - pensait que plus jamais n’existerait, en Europe, un tel conflit. La grande guerre devait engendrer la paix. Elle enfanta un monstre. Et il fallut attendre la fin de ces deux conflits mondiaux pour que, enfin, fussent posées les fondations d’une Europe de la paix. Pour les jeunes du XXIe siècle, faire mémoire du 11 novembre 1918, c’est rappeler cette prise de conscience - douloureuse et si difficile à concrétiser - de la nécessité de créer, pour notre continent, les conditions de la paix.
Le 11 Novembre symbolise aussi l’identité nationale dans ce qu’elle a de multiple. Ne l’oublions pas : les morts pour la France ne venaient pas tous de France métropolitaine. En cette année 2008 où nous avons eu la tristesse de perdre Lazare Ponticelli, le dernier poilu, immigré italien engagé comme volontaire étranger pour notre pays en 1914, avant de devenir français en 1939, comment ne pas penser à tous ceux qui sont venus partager le destin de nos troupes ? Comment ignorer les tirailleurs sénégalais, les chasseurs marocains, les spahis d’Algérie, et tous ces soldats issus de ce qu’on appelait alors l’Empire ?
Comment, au-delà de ces terres, oublier les 42 883 hommes de cinquante-deux nationalités qui ont servi dans les rangs de la Légion étrangère en août 1914 avant, pour nombre d’entre eux, de devenir « français par le sang versé » ? La France, qui tout au long de son histoire a su forger son unité sans créer d’uniformité, rassemblait à nouveau sous les drapeaux de la République une multitude bigarrée. À l’instar de Guillaume Apollinaire, engagé en 1914 comme étranger avant de devenir français en 1916 et de perdre la vie le 9 novembre 1918, deux jours avant l’armistice, des jeunes gens venus de partout ont servi la France, trouvant leur unité dans les valeurs de notre pays.
L’identité nationale n’est ainsi ni synonyme d’exclusion ni synonyme de repli. Rappeler aux Français qu’ils ont un héritage commun et un destin partagé, c’est leur permettre de bâtir un projet collectif. À l’heure de la mondialisation et au moment où nous construisons l’Union européenne, promouvoir l’identité nationale, c’est faire œuvre de patriotisme. Un patriotisme qui refuse le nationalisme, qui refuse le communautarisme, qui refuse les identités exclusives. Ce patriotisme ouvert, c’est la voie qui permet d’aborder avec confiance l’avenir de notre communauté nationale, au sein d’une Europe unie.