Monsieur le Vice-Président du Parlement européen, [Manuel Antònio dos SANTOS],
Monsieur le Président du Sénat français, [Christian PONCELET],
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale française, [Bernard ACCOYER],
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Je suis heureux et surtout honoré de pouvoir m’exprimer devant vos Assemblées réunies, cet après-midi.
Je salue, bien entendu, cette heureuse initiative qui a consisté à réunir, dans un même hémicycle, des eurodéputés, des parlementaires nationaux des 27 États membres, mais aussi des parlementaires des trois pays souhaitant rejoindre l’Union européenne, la Croatie, la Turquie et l’ancienne république yougoslave de Macédoine. Pour avoir moi-même siégé au Parlement européen pendant près de six ans, entre 1999 et 2005, je sais à quel point le dialogue entre les représentants de nos pays est précieux pour faire avancer nos idées et construire une Europe crédible, audible et visible.
Le thème de cette première réunion interparlementaire de la présidence française de l’Union européenne m’a paru très porteur. Traiter des migrations et de l’intégration en Europe, cela donne l’occasion de démontrer à nos concitoyens que l’Union européenne est désormais capable de relever les défis de notre société et de traiter leurs préoccupations quotidiennes.
Le dossier de l’immigration fait incontestablement partie de ces préoccupations. Non pas que l’immigration soit un problème en soi, mais parce qu’elle constitue un fait de société qui mérite une véritable politique.
Trop souvent, en France, nous n’avons pas eu de politique de l’immigration. C’est la raison pour laquelle le Président de la République française, lorsqu’il fut élu il y a seize mois, créa un nouveau ministère régalien, spécifiquement chargé de mettre en œuvre la nouvelle politique d’immigration, mais aussi d’intégration et de codéveloppement de la France.
Trop souvent, nous n’avons pas su non plus nous concerter sur le thème des flux migratoires. Le Président SARKOZY, qui avait eu pour intuition la nécessité d’une politique européenne en la matière, posa très justement la question ici même, devant vous, en juillet dernier : « A partir du moment où nous n’avons plus de frontières entre nous, est-il légitime, est-il raisonnable de continuer à définir chacun de notre côté une politique d’immigration ignorant les contraintes des autres ? ».
***
I. Nous partons, en effet, d’un constat simple : la gestion des flux migratoires s’affirme chaque jour davantage comme une nécessité européenne.
Aujourd’hui, qu’observe-t-on ? Si les cinq pays qui concentrent 80% des flux migratoires - la France, l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne - ont adopté ces dernières années des mesures convergentes indifféremment de leur orientation politique, il n’existait pas pour autant, jusqu’ici, de véritable cohérence à l’échelle des 27 pays de l’Union et ce, tant pour des raisons historiques que géographiques.
Historiques d’abord, étant donné la variété de nos traditions, comme c’est tout particulièrement le cas en matière d’asile. Par exemple, le taux d’admission des Irakiens au statut de réfugié varie grandement d’un pays à l’autre de l’Union. En 2007, il s’élevait à 74% en Allemagne et 80% au Danemark, 21% au Royaume-Uni et moins de 5% en Grèce et en Slovénie.
Pour des raisons géographiques ensuite, nos partenaires n’étant pas tous exposés de la même manière aux flux migratoires. Je pense à la Grèce qui, avec 1 250 km de frontières balkaniques et 16 000 km de côtes, possède la frontière extérieure la plus grande et la plus exposée de l’Union. J’en veux pour preuve l’explosion du nombre de migrants interpellés en mer et le doublement du nombre de demandeurs d’asile ces deux dernières années.
Cette absence de concertation à l’échelle européenne a longtemps hypothéqué la maîtrise de nos flux migratoires, maîtrise pourtant essentielle pour garantir l’équilibre de nos communautés nationales. Accueillir des étrangers sans tenir compte de nos priorités, de nos besoins et surtout de nos capacités d’accueil, c’était mettre à rude épreuve la cohérence de nos sociétés. J’ai souvent eu l’occasion de le dire, mais j’insiste : ce n’est pas l’immigration qui est un problème, mais bien l’absence de politique d’immigration.
II. C’est la raison pour laquelle la France a souhaité profiter de sa présidence pour travailler, avec ses partenaires, à la mise en place d’une politique d’immigration à l’échelle européenne.
La France se veut, avant tout, une présidence modeste. C’est pourquoi nous nous plaçons résolument dans le sillage des présidences précédentes, auxquelles je veux rendre hommage.
Je pense notamment au Conseil européen de Tampere (Finlande) en octobre 1999 où avaient été définis les premiers principes d’une politique commune de l’Union en matière d’asile et d’immigration.
Cette approche avait été enrichie en 2004 avec l’adoption du Programme de la Haye qui avait fixé des objectifs visant à renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne pour la période 2005-2010.
L’approche globale de la question migratoire a ensuite été confirmée lors du Conseil informel de Hampton Court (Royaume-Uni), en octobre 2005.
Modeste, cette présidence française n’en est pas moins ambitieuse. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé, au nom de la France et sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, un Pacte européen sur l’immigration et l’asile. Le principe de ce Pacte a été adopté à l’unanimité par nos partenaires européens réunis à Cannes, lors d’un sommet JAI informel, les 7 et 8 juillet dernier.
S’agit-il d’un texte de plus, sans volonté politique et loin des réalités ? Non, c’est tout le contraire ! C’est un texte éminemment politique, qui propose des avancées communes et réelles, sur un sujet de société qui nous concerne tous.
Vous le savez, ce Pacte comporte cinq ambitions. Permettez-moi de dire un mot de chacune d’elles.
1) Première ambition : l’organisation de l’immigration légale, en tenant compte des besoins, des priorités et des capacités d’accueil déterminés par chaque État membre, afin de favoriser l’intégration.
Je précise que ce Pacte concerne les ressortissants des États tiers, même si nous avons souhaité rappeler le principe du respect de la préférence communautaire. C’est, d’ailleurs, dans cet esprit que la France a anticipé la fin de la période transitoire en ouvrant complètement son marché du travail aux huit pays qui avaient adhéré à l’Union européenne en 2004.
Ce chapitre réserve, à la demande de plusieurs États membres et du Président de la commission LIBE du Parlement européen, Gérard DEPREZ, une place importante à l’intégration. Nous insistons sur l’équilibre indispensable entre, d’une part, le respect des droits des migrants et, d’autre part, leur devoir de respecter les lois des États membres où ils résident.
Conscient de l’importance du sujet de l’intégration, j’organiserai, les 3 et 4 novembre prochains à Vichy, la troisième conférence ministérielle sur ce sujet, après celles de Groningue en 2004 et de Postdam en 2007. Face aux difficultés maintes fois démontrées sur le terrain et depuis plusieurs décennies pour réussir l’intégration, ce rendez-vous nous permettra d’échanger nos expériences, nous inspirer des meilleurs pratiques et prouver une nouvelle fois que l’Europe traite aussi des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens.
2) Deuxième ambition : mieux lutter contre l’immigration irrégulière.
Ce chapitre consacre l’engagement des États membres de procéder au retour, dans leur pays d’origine ou de transit, des étrangers en situation irrégulière. Il est, d’abord, proposé de limiter la pratique des régularisations à des motifs humanitaires ou économiques dans le cadre d’un examen au cas par cas.
Ce chapitre insiste aussi, comme l’ont souhaité certains États membres, sur la nécessité de renforcer la coopération avec les pays d’origine pour mener à bien les réadmissions et la lutte contre l’immigration irrégulière en général.
Il rappelle, enfin, la nécessité pour chacun de nos pays d’adopter un dispositif de sanctions contre les employeurs d’étrangers en situation irrégulière, qui les exploitent et faussent ainsi la concurrence.
3) Troisième ambition : améliorer l’efficacité des contrôles aux frontières.
Ce chapitre souligne à la fois la compétence des États membres pour assurer le contrôle des frontières et le principe de solidarité des États membres en cas de pression aux frontières les plus exposées.
L’une des priorités pour l’avenir est la gestion intégrée des frontières pour laquelle la présidence slovène nous a ouvert des perspectives très intéressantes. Je veux citer le recours à des technologies modernes ou encore la généralisation, à partir de 2012, des visas biométriques.
J’ajoute que ce Pacte insiste sur la nécessité pour les États membres de donner à l’agence FRONTEX les moyens de remplir sa mission de coordination. Enfin, nous avons insisté sur la nécessité de mieux coopérer avec les États tiers pour développer un contrôle en amont dans les pays d’origine et de transit.
4) Quatrième ambition : bâtir une Europe de l’asile.
Quatre ans après le « Programme de la Haye » de 2004 qui avait permis l’établissement de normes minimales à travers trois directives (2003, 2004 et 2005), l’Europe de l’asile devait, à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, franchir une nouvelle étape. C’est désormais chose faite.
La conférence européenne que j’ai présidée hier et avant-hier à Paris a constitué une innovation majeure. Pour la première fois, nous ne nous sommes pas contentés de discuter entre représentants des Etats, mais nous avons choisi de rassembler associations, membres de la société civile et ministres européens pour un échange inédit et constructif.
Afin d’assurer un niveau de protection encore plus élevé des demandeurs d’asile en Europe et parvenir ainsi à créer un régime commun de l’asile en 2010 ou au plus tard en 2012, nous sommes convenus à l’unanimité que le Pacte européen permettrait plusieurs avancées concrètes :
la mise en place, dès 2009, d’un bureau d’appui européen pour faciliter les échanges d’informations entre Etats membres et assurer, ainsi, une mise en cohérence des pratiques ;
la présentation en 2010 et, au plus tard à l’horizon 2012, des piliers du régime européen commun de l’asile, c’est-à -dire d’une procédure d’asile unique comportant des garanties communes ;
la construction des outils de solidarité entre les États en cas de crise dans un État membre confronté à un afflux massif de demandeurs d’asile ;
le renforcement de la coopération avec le HCR (Haut commissariat pour les réfugiés) pour assurer une meilleure protection aux personnes qui en font la demande à l’extérieur du territoire des Etats membres.
Grâce à l’adoption définitive, prévue cet automne, du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, je crois que nous pourrons, bientôt, répondre à un double défi en matière d’asile :
mieux accueillir et protéger les étrangers persécutés dans leur pays d’origine ;
mais aussi décourager, avec discernement, les demandes abusives.
5) La dernière ambition du Pacte, mais ce n’est pas la moindre, a trait à la création d’un partenariat global avec les pays d’origine et de transit.
Parce que la question de l’émigration est intimement liée à celle du développement du pays source, le Pacte propose d’encourager la conclusion d’accords avec les pays d’origine et de transit qui couvrent l’ensemble des problématiques migratoires et ouvrent, notamment en fonction des besoins du marché du travail de chacun de nos pays, des perspectives d’immigration légale.
C’est dans cet esprit que nous organiserons, en novembre prochain à Paris, la seconde conférence ministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement, que je présiderai, en présence de près d’une soixantaine de délégations, après celle de Rabat en juillet 2006.
Parce que le Pacte n’est pas une simple déclaration d’intention, un accord final devrait être entériné lors du Conseil JAI du 25 septembre consacré à l’immigration, avant une adoption définitive par les Chefs d’état et de gouvernement, lors du Conseil européen des 15 et 16 octobre.
***
Si le Pacte constitue l’objectif majeur du semestre de la Présidence française, je n’oublie pas pour autant l’important travail du Parlement européen sur au moins trois directives relatives à l’immigration. J’entends, ainsi, que l’on puisse avancer sur les directives « carte bleue » et « sanctions ». S’agissant de la directive « titre unique », après avoir reçu un accueil plutôt favorable des États membres sous présidence slovène, les négociations se poursuivent actuellement en étroite liaison avec le Parlement européen. Son adoption me semble envisageable en 2009.
Messieurs le Présidents, Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Je terminerai mon propos en vous citant une très récente étude portant sur « les Français et la citoyenneté européenne » parue la semaine dernière, à l’occasion des Journées civiques européennes. Cette étude, que nous enseigne-t-elle ? Elle nous dit que seulement 2 Français sur 5 « se sentent européens ».
Elle nous dit aussi, par exemple, que les Français ont une connaissance très parcellaire du fonctionnement de l’Union européenne. Ainsi, 36 % d’entre eux pensent qu’ils n’ont pas le droit de voter aux élections européennes, alors que les Français élisent les députés européens depuis 1979 !
Ne nous y trompons pas : la situation est la même dans les tous autres pays d’Europe. Chacun, qu’il soit Portugais, Français, allemand, suédois ou grec, ressent la même chose : trop souvent, l’Europe inquiète plus qu’elle ne rassure. Trop souvent, malgré tous les efforts entrepris et les progrès effectués, l’Europe est perçue comme un concept plus qu’une réalité. Alors, à nous de les rassurer et à nous de faire en sorte que l’Europe s’attaque aux véritables défis de société et réponde davantage à leurs préoccupations quotidiennes.
C’est précisément ce à quoi s’emploie la présidence française de l’Union européenne : bâtir une Europe qui innove, une Europe qui avance, mais une Europe qui protège.