Monsieur le Président de la séance [Charles MILHAUD]
Messieurs les Ambassadeurs, [Missoum SBIH pour l’Algérie ; Fathallah SIJILMASSI pour le Maroc],
Mesdames et Messieurs,
C’est à la fois un honneur et une joie que de me trouver parmi vous, aujourd’hui, dans ce grand amphithéâtre de l’Unesco pour évoquer la circulation des hommes en Méditerranée. Je remercie Albert MALLET, président du Forum de Paris, pour sa très aimable invitation.
Depuis votre premier colloque, en 1995 sur le Proche-Orient, en passant par celui de 2004 consacré au « défi de l’Euroméditerranée », le Forum de Paris s’est imposé comme le lieu de débat et de réflexion incontournable sur la Méditerranée.
Pendant ce temps, je le regrette, la France n’y prêtait pas suffisamment attention, ne percevant pas l’avenir prometteur de ce carrefour de civilisations, de peuples et de religions. La volonté du Président de la République de mettre en place une Union pour la Méditerranée constitue donc bel et bien un tournant historique.
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I. Avant de vous faire partager ma méthode, permettez-moi, tout d’abord, de vous expliquer en quelques mots quelle est la nouvelle politique d’immigration de la France. La France souhaite une immigration maîtrisée, mais qui laisse aux hommes et aux femmes la possibilité de circuler.
A. Une immigration maitrisée, avant tout.
La création, voulue par le Président de la République, d’un ministère français de l’immigration il y a dix mois, a eu l’immense mérite d’interpeller l’opinion publique sur une vérité simple : pour rester possible et s’effectuer dans des conditions respectueuses de chacun, l’immigration doit être régulée, elle doit être maitrisée.
Ce langage nouveau, parlé depuis 2002 par la France lorsque Nicolas SARKOZY était devenu ministre de l’intérieur, est désormais compris par nos compatriotes comme par les pays d’origine.
Il est compris parce qu’il repose sur quelques constats incontournables. Ces constats, très rapidement, quels sont-ils ?
D’abord, le système français d’intégration a globalement échoué. J’en veux pour preuve la concentration beaucoup trop forte de la population d’origine étrangère dans seulement trois régions sur vingt-deux : 60% des étrangers habitent en Ile-de-France, en Rhône-Alpes ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur, parfois dans de véritables ghettos urbains.
Le deuxième constat : notre situation démographique. La France a la démographie la plus dynamique d’Europe, avec un taux de fécondité supérieur à 2, ce qui assure le renouvellement des générations. Notre situation n’est pas comparable, par exemple, à celle de l’Espagne ou de l’Italie, qui ont un taux de fécondité de 1,2, ou à celle de l’Allemagne, dont le taux de fécondité ne dépasse pas 1,4. Contrairement à d’autres pays européens, c’est un fait : la France n’a pas besoin d’une immigration massive pour soutenir une démographie défaillante.
Troisième constat : la capacité d’accueil de la France est, tout simplement, limitée. C’est vrai, par exemple, en matière de logement. La construction de logements s’est effondrée pendant plusieurs années (296 000 logements, dont 52 000 logements sociaux, construits chaque année de 1997 à 2002), et l’effort de rattrapage déjà engagé et estimé par les experts à 1 million de logements, prendra beaucoup de temps.
Quatrième constat : en matière de gestion de l’immigration, tout laxisme se paie comptant. Lorsque, par exemple, le gouvernement de 1997 décide de régulariser 80.000 personnes, il croit faire un acte généreux. Or il ignore qu’il entraîne ainsi un puissant et incontrôlable appel d’air, multipliant le nombre de demandeurs d’asile par quatre, alors que le pays n’y est pas préparé. Les hommes et les femmes qui arrivent sont donc alors, bien souvent, réduits à la misère, à défaut de logements, à défaut d’emplois. Quelle que soit la sincérité de cette décision, les effets pervers en sont lourds pour eux, autant que pour la société qui les accueille. C’est la démonstration de l’échec de toute régularisation générale.
Enfin, nous n’avons pas d’autre choix que de vouloir maîtriser les flux migratoires puisque notre pays est, en Europe, celui qui a déjà accueilli au cours des dernières décennies le plus grand nombre d’étrangers : jusqu’à 400 000 par an dans les années 60 et 70.
B. Une immigration maitrisée ne signifie en rien une immigration zéro. Nous sommes pour la circulation des hommes et des femmes qui le souhaitent.
L’immigration zéro ne fait pas partie de notre philosophie. Tous ceux qui tiennent un langage républicain savent d’ailleurs qu’elle n’est ni possible, ni souhaitable.
Nous ne voulons pas davantage instaurer un pillage des cerveaux. Deux immigrés sur trois sont originaires des pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Imaginez le risque pour les Gouvernements de ces pays amis de la France d’un pillage de telles forces vives ! Ce n’est pas ce que nous voulons.
Ce que nous voulons, c’est que celles et ceux qui respectent les règles, qui souhaitent se former quelques mois ou quelques années ou même dans certains cas s’installer plus durablement en France, puissent le faire dans de bonnes conditions et dans la mesure du possible. Nous souhaitons, par exemple, privilégier la circulation des compétences.
Concrètement, cette politique se matérialise de trois façons complémentaires.
Tout d’abord, par la mise en œuvre d’un dispositif novateur : celui de la carte « compétences et talents ». Il s’agit d’accueillir en France des personnes ayant un profil et un projet utiles à notre pays et à leur pays d’origine. Cette carte, d’une durée de trois ans, a vocation à bénéficier à des personnes d’un niveau universitaire au moins égal à la maîtrise. Parmi les premières promotions de cartes compétences et talents, on trouve, par exemple, un Tunisien de 30 ans, contrôleur de gestion dans une entreprise hôtelière et une Tunisienne de 27 ans, ingénieur de l’école des Mines de Nancy et qui parle l’arabe, le français, l’anglais et l’italien.
Lorsqu’elle bénéficie à un étranger ressortissant d’un pays en voie de développement inclus dans la zone de solidarité prioritaire, la carte « compétences et talents » ne peut être renouvelée qu’une fois. Vous le voyez, dans notre esprit, il s’agit bien de favoriser la circulation et non la captation des compétences. Après six ans de séjour en France, son titulaire doit donc retourner dans son pays d’origine, pour le faire bénéficier de l’expérience acquise en France.
Deuxième levier d’action : la coopération décentralisée. Le but est d’inciter les collectivités territoriales des deux rives de la Méditerranée à collaborer autour de réalisations concrètes et locales. Parce qu’elles sont proches des acteurs de terrain, les collectivités territoriales sont bien placées pour définir les besoins réels et mener une action vraiment efficace et utile. C’est pourquoi nos collectivités respectives doivent tisser et intensifier leurs liens. Aujourd’hui, 58 collectivités françaises sont en partenariat avec leurs homologues algériennes et 65 avec leurs homologues marocaines. Je pense notamment aux villes de Marseille et de Rabat qui œuvrent ensemble en matière de développement et la gestion urbaine. Cette coopération culturelle et économique favorise l’enrichissement mutuel et plus encore le partage des compétences.
La circulation de compétences, enfin, est indispensable pour mobiliser les entrepreneurs aux services du développement de nos pays. Ils doivent pouvoir s’appuyer sur une mobilisation de l’épargne, y compris celle des migrants, au profit de l’investissement productif dans leur pays d’origine. En effet, les chiffres démontrent qu’aujourd’hui les migrants contribuent de façon décisive au développement de leur pays d’origine. Pour ne citer qu’un exemple : les migrants ont rapatrié 264 milliards de dollars en 2006, soit plus du double de l’aide publique au développement. Ces transferts contribuent à la réduction de la pauvreté et au développement de la consommation, notamment à la campagne, en permettant de satisfaire les dépenses alimentaires, scolaires et médicales. Pour orienter davantage ces transferts vers l’investissement et la création d’activités productives, le Gouvernement français agit de deux manières.
Tout d’abord, nous voulons augmenter le volume effectivement transféré dans les pays d’origine en diminuant significativement les coûts de transactions. Cela passe par une plus grande transparence sur ces coûts. C’est ainsi que nous soutenons le site www.envoidargent.fr où les banques françaises et locales ainsi que les organismes de transports de fonds affichent leurs tarifications. Ce dispositif concerne déjà cinq pays dont la Tunisie et le Maroc.
Nous avons également mis en place des dispositifs novateurs d’aide de l’État pour favoriser la constitution d’une épargne par les migrants au bénéfice de l’investissement dans leur pays d’origine. Je pense notamment au compte épargne codéveloppement que le groupe Caisse d’Épargne, présidé par Charles MILHAUD, sera le premier à distribuer. J’ai également fait voter à l’unanimité la création du livret épargne codéveloppement dans le cadre de la loi du 20 novembre 2007.
II. Les pays de la Méditerranée sont au cœur de ma démarche qui s’articule autour d’une réflexion concertée accompagnée d’engagements bilatéraux.
A. Une réflexion concertée.
Aujourd’hui, les pays du Maghreb ne sont plus seulement des pays d’origine de la migration. Ils deviennent des pays de transit, voire de plus en plus, des pays d’installation pour les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne mais aussi d’autres parties du monde comme l’Asie. Au fur et à mesure que les flux de migration s’allongent, leur maîtrise devient donc une question globale à l’échelle de la Méditerranée.
Ces évolutions profondes appellent une adaptation des politiques migratoires nationales au moyen d’une plus grande concertation entre pays d’origine et d’arrivée. C’est précisément dans cette optique que s’inscrit l’engagement multilatéral de la France, qui se concrétise notamment par le processus euro-africain sur les migrations et le développement aux côté du Maroc, de l’Espagne, du Sénégal et de la Commission européenne. A Rabat, en juillet 2006, une cinquantaine de pays d’Europe, de Méditerranée et d’Afrique se sont ainsi réunis pour trouver des réponses communes aux problèmes posés par les migrations irrégulières par la route migratoire ouest-africaine. En octobre 2008, durant la présidence française de l’Union européenne, nous convierons à Paris une deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement afin d’aller plus loin encore dans la nécessaire concertation entre les pays concernés car la Méditerranée est au carrefour de ces chemins. Pourquoi ne pas envisager de réfléchir ensemble à la circulation des personnes autour de ce bassin méditerranéen ? L’observation des flux pourrait nous aider à trouver, ensemble, des solutions à la fois pour réguler mais aussi pour faciliter la circulation de tous ceux qui concourent au dynamisme et à la vitalité de cette région d’échanges multiséculaires ?
Le dialogue entre le Nord et le Sud qui « perpétue cette frontière invisible qui depuis si longtemps coupe en deux la Méditerranée » pour reprendre les mots du Président SARKOZY n’est pas la bonne réponse. Aujourd’hui, nous proposons de nous vivre non comme pays du Sud ou du Nord, mais comme riverain du bassin méditerranéen. C’est ainsi que je me suis aussi bien rendu en Espagne, au Maroc, en Italie, en Tunisie, en Slovénie ou encore en Grèce et que j’irai la semaine prochaine à Chypre et, au mois d’avril, en Égypte et à Malte.
B. Parallèlement à cette action multilatérale, j’ai entrepris la négociation et la signature d’accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires.
Quatre ont d’ores et déjà été conclus depuis ma prise de fonctions, il y a dix mois : avec le Gabon en juillet 2007, avec la République du Congo en octobre 2007, avec le Bénin en novembre 2007 et avec le Sénégal en février 2008.
Une nouvelle série d’accords est en cours de négociations. Les autorités égyptiennes sont, par exemple, très intéressées. J’ai engagé des discussions sur les migrations professionnelles avec le Maroc et je suis en pourparlers avancés avec la Tunisie.
Ces accords reposent sur un véritable dialogue d’égal à égal, entre pays souverains aussi respectueux que responsables. Ma méthode consiste à écouter les besoins du pays, à entendre ses spécificités mais aussi à expliquer les attentes du peuple français et les intérêts de la France. Quand je me rends en Afrique et au Maghreb, j’y vais pleinement conscient que nos gouvernements respectifs doivent avancer ensemble.
Contrairement à ce que certains aimeraient faire croire, ces accords ne consacrent pas la fermeture de la France aux migrations, mais bien au contraire, ils favorisent la circulation des compétences et encouragent la mobilité entre nos pays.
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Mesdames et Messieurs,
Parce que la circulation des hommes est un fait de nos sociétés, elle nécessite une politique. Cette politique n’est possible, crédible, lisible que si elle s’accompagne d’une vision. La France a une vision. Les pays de la Méditerranée ont les leurs. L’important est d’aboutir à des points d’accord qui conviennent à tous parce qu’ils tiennent compte de nos intérêts communs.
Tout l’enjeu est donc de construire une vision partagée de la circulation des hommes dans cette zone de civilisation qu’est le bassin méditerranéen. C’est un enjeu difficile parce que chacun a ses habitudes, ses contraintes et ses exigences, mais c’est aussi un enjeu formidable car parler des hommes constitue la plus belle des politiques. « L’homme est la mesure de toute chose » écrivait l’un des nombreux génies que la Méditerranée enfanta, le philosophe grec Protagoras. En plus de nous rappeler l’essentiel, cette vérité constitue un encouragement à agir.