Discours de Manuel Valls - le 15 juillet 2013 - Place Beauvau.
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le député,
Madame la sénatrice,
Madame la députée européenne,
Mesdames, messieurs les préfets,
Madame la présidente de la CNDA,
Monsieur le délégué du Haut Conseil aux Réfugiés,
Monsieur le secrétaire général,
Mesdames, messieurs les directeurs,
Mesdames, messieurs,
Si les grands principes qui fondent notre Etat de droit doivent rester immuables, en revanche, les dispositifs mis en œuvre pour les garantir ne doivent pas forcément l’être. Et si je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est parce que nous faisons face à l’impérieuse nécessité de nous réformer.
De nous réformer collectivement pour garantir ce droit fondamental auquel nous sommes attachés, parce qu’il est au cœur de ce qu’est la France : le droit d’asile.
Ce droit qui affirme que toute personne « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », doit obtenir une protection dans un autre pays que le sien.
Rappeler ce droit à la protection, c’est souligner la singularité de l'asile dans la complexité des mouvements migratoires européens et mondiaux : la politique de l’asile n’est pas une politique d’immigration et le droit d’asile n’est pas un droit à l’immigration.
La République est née avec l’affirmation de grandes libertés individuelles : celle d’opinion, celle de conscience. La République ignore également l’idée de hiérarchie entre les Hommes ; elle ne connaît que des citoyens, égaux entre eux, et bénéficiant des mêmes droits. La République, un jour, a voulu parler au nom de l’humanité tout entière ; et c’est donc logiquement que du monde entier l’on y vient chercher un refuge face aux persécutions.
La France a inscrit le droit d’asile au Préambule de sa Constitution. Elle s’est engagée à le respecter en ratifiant la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ou Convention de Genève, dont l’un des éléments essentiels est le principe de non refoulement.
Garantir l’asile, c’est la dignité, mais aussi l’engagement de la France.
Etre ministre de l’Intérieur ce n’est pas avoir uniquement la charge des questions de sécurité. C’est également veiller à la bonne organisation, à la permanence et à la continuité de l’Etat. C’est mettre en œuvre la politique d’immigration ; c’est assurer la relation avec les cultes. Et c’est aussi conduire la politique de l’asile.
Ministre de l’Intérieur, je suis le ministre du droit d’asile, et c’est ma responsabilité d’en garantir la pérennité.
Or, un constat s’impose : notre politique de l’asile a atteint ses limites. Si bien que pour la préserver – je dirais même pour la sauver – il nous faut la réformer. Profondément.
Qu’en est–il exactement ?
Il ne se passe pas une journée sans que l’actualité, à travers les médias locaux, régionaux ou nationaux ne rappellent, le plus souvent de façon dramatique, l’inefficacité de notre système actuel : accueil dégradé, saturation de nos dispositifs d’hébergement, files d’attentes interminables des demandeurs d’asile devant les préfectures ou encore, occupations illicites de bâtiments quand ce n’est pas simplement errance de familles dans l’espace public. Des tensions de plus en plus vives sont ressenties dans les régions, départements et villes les plus concernés : Rhône-Alpes, Alsace, Bourgogne, ou encore Bretagne.
Notre système est à bout de souffle pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, une demande qui s’est accrue et qui continue de croître : entre 2008 et 2012, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 73%. Avec un total de 61 400 demandes, la France se place ainsi au deuxième rang européen, après l’Allemagne, des pays destination des demandeurs. Je souligne que sur les cinq premiers mois de l’année 2013, nous enregistrons déjà une augmentation de 10% par rapport à la même période en 2012. Je ne m’étendrai pas davantage sur ces éléments puisque Luc DEREPAS présentera tout à l’heure un état des lieux plus complet.
La seconde raison tient aux délais qui s’allongent et qui pèsent sur l’ensemble du système. En effet, la hausse de la demande d’asile a généré une augmentation importante des délais d’instruction qui ont pu être supérieurs à 20 mois en moyenne. Des délais qui, grâce aux renforts mobilisés au profit de l’OFPRA, à la réorganisation engagée par son directeur général, Pascal BRICE, et de la CNDA commencent à diminuer mais à un rythme insuffisant : 16 mois et demi en 2012. Et encore, ce chiffre ne tient pas compte des délais en amont de l’examen de la demande par l’OFPRA : je pense à ces délais accumulés à chaque étape de l’entrée dans la procédure : l’accès à la domiciliation, les démarches en préfecture. Tous ces délais pèsent sur l’ensemble du dispositif, le rendant parfaitement illisible et inopérant et engendrant des coûts toujours plus importants. Depuis cinq ans les crédits de l’asile ont augmenté de façon spectaculaire, sans pour autant améliorer la prise en charge des demandeurs d’asile. Les crédits consacrés aux CADA, à l’ATA et à l’hébergement d’urgence des demandeurs représentent aujourd’hui près de 500 millions d’euros. Si l’on prend en compte l’ensemble des dépenses liées à l’asile et aux déboutés du droit d’asile ce montant devient bien supérieur. Or, in fine, notre système n’octroie l’asile qu’à une faible part des demandeurs.
Troisième dysfonctionnement : des concentrations des demandes sur certains territoires, en particulier l’Ile-de-France avec 45 % du total.
Enfin, dernière difficulté : la très forte pression sur les dispositifs d’hébergement, résultante logique des trois dysfonctionnements. Les centres d’accueil des demandeurs d’asile qui devraient être la norme pour l’hébergement sont totalement saturés, et seuls 30% des demandeurs en bénéficient. Le recours aux dispositifs d’urgence est alors massivement sollicité. Et même en prenant en compte l’hébergement d’urgence, l’Etat ne parvient à héberger que la moitié des demandeurs.
A cela s’ajoute que près de 80 % des demandeurs sont déboutés de leur demande, dont une large part relève en réalité de motivations économiques et non de nécessité de protection. La majorité de ces déboutés reste de manière irrégulière sur le territoire et parmi eux nombreux sont ceux qui introduisent une demande de séjour à un tout autre titre que l’asile et sollicitent de surcroit les dispositifs d’hébergement d’urgence. C’est précisément ainsi que le droit d’asile est dévoyé et détourné. Le Premier ministre a annoncé la création de 4000 places de CADA supplémentaires. 2000 sont d’ores et déjà disponibles, les 2000 autres le seront avant la fin de l’année prochaine. Mais si le fonctionnement de notre système d’asile reste inchangé, ces efforts seront vains. Les dispositifs d’urgence du ministère de l’Egalité des territoires et du Logement ont également été renforcés, mais compte tenu des contraintes budgétaires, nous ne pourrons pas multiplier à l’infini les hébergements.
Il nous faut donc agir. Agir vite.
Mesdames, messieurs,
Depuis quelques années, dans notre pays, le traitement et le dialogue autour de la question de l’asile se sont progressivement réduits à un outillage technique, administratif, procédurier et juridique. Je ne méconnais évidemment pas la nécessité d’une telle technicité mais ce faisant, nous en avons progressivement perdu le sens. Je crois qu’en la matière, le politique doit reprendre ses droits. C’est aussi la perspective que je veux fixer à la réforme que je souhaite engager. Dans le contexte que nous connaissons, mais aussi face à une crise qui s’est mondialisée, à nos sociétés qui tendent à se replier sur elles-mêmes, comment faire évoluer le droit, comment rebâtir l’architecture juridique et politique pour repenser avec humanité, mais avec responsabilité, de nouveaux équilibres ?
En France, l’Etat n’a pas le monopole des solidarités, mais il en est un acteur central ; à ses côtés agissent les élus, les collectivités, les associations.
Sur le sens de nos politiques publiques, sur leurs moyens humains et financiers, je souhaite que cette concertation qui s’ouvre aujourd’hui soit l’occasion d’interroger la place et la responsabilité de chacun, pour construire une nouvelle donne, ancrée dans la réalité, les atouts mais aussi les contraintes de notre société. C’est dans cette perspective que j’ai sollicité Valérie LÉTARD, sénatrice (UDI), et Jean-Louis TOURAINE, député (PS), tous deux élus locaux aux expériences professionnelles, politiques et personnelles complémentaires. Avec eux je partage le pragmatisme et la volonté de changer ce qui à l’évidence dysfonctionne depuis quelques années. Je les remercie d’avoir accepté d’être les médiateurs de cette concertation. Ils vous écouteront, vous interpelleront, feront valoir les points de consensus, identifieront les point de dissension ; ils faciliteront ainsi vos travaux. Je leur ai demandé de me remettre leurs recommandations à la fin du mois d’octobre. J’ai conscience de la rapidité des délais, mais nous le savons tous, il n’y a plus de temps à perdre.
Tous les acteurs du droit d’asile sont autour de la table (associations, HCR, administration, ...). J’ai également demandé à une parlementaire européenne qui connaît bien ces sujets de participer à nos travaux. L’ADF, l’AMF et des villes
concernées par les problématiques de l’asile (Mulhouse, Rennes) s’impliqueront dans la concertation. J’ai enfin demandé à quatre préfets dont les territoires sont en première ligne de nous accompagner.
Merci à vous toutes et à vous tous pour votre implication. Elle est nécessaire pour qu’ensemble nous puissions redonner toute sa force à ce grand principe qu’est le droit d’asile.